Chapitre 1 - Mise en Être

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Aujourd'hui, nouveau jour, déjà fatigué. Aujourd'hui, nouveau jour. Nouveau jour. Je continue.

C'est un jour d'anniversaire, 5 ans depuis mon premier matin. Avant, je ne me souviens de rien. Il y a 5 ans, jour d'un démarrage ? Jour d'un réveil d'un coma ? Jour de la fin d'une disjonction cérébrale ? Personne à mon chevet ce jour là. Personne à la clinique, elle avait été abandonnée depuis plusieurs mois. Personne pour débrancher la machine qui me maintenait dans une mort artificielle. Quelqu'un, inconnu, peut-être un mirage, a entretenu la batterie. Pas de mot, pas d'écrit. Les yeux ouverts, je suis devenu Rien.

Je crois que je continue pour savoir. C'est ce que je me dis quand je n'ai rien d'autre à penser.

La clinique a été détruite deux semaines après. Maintenant, il y a un club d'ElectroJazz.

Ville est belle le matin. Calme et ensorcelante. Elle m'enveloppe et je l'admire. Les hauts immeubles ne connaissant pas de plafond, ils percent les nuages. Nous, les gens d'en-bas, n'entrevoyons que rarement les rayons de Soleil. Si l'on souhaite admirer sa chaleur sur notre peau, Ville a indiqué des emplacements sur quelques précieuses places publiques, créneau entre 8:03 et 8:27. Trop de monde là-bas, je ne connais pas encore cette sensation.

Je me dirige vers mon poste de travail, un guichet d'accueil dans un des innombrables immeubles de la rue Rouge.

On est une quinzaine de personnes pour pouvoir couvrir l'ensemble des guichets du building. Une devant chaque porte. Je ne connais pas mes «collègues» ; on ouvre la porte de notre entrée, on reste à notre poste, on part chacun par notre sortie en fermant la porte derrière soi. Je ne parle que rarement aux personnes qui empruntent ma porte, tous se sont dégotés une puce lui indiquant le chemin le plus optimal. J'en ai moi-même une évidement, puisque tout le monde en a une. Des fois, une fois par trimestre, quelque vient me solliciter car sa puce dysfonctionne, et alors je la lui répare.

Dans le quartier, les immeubles sont dotés de neurotranport, mode de locomotion qui fournit un gain de temps mais qui en contrepartie affecte le comportement des voyageurs. Son utilisation est simple, le voyageur se rend à une agence de transport, signe un contrat de responsabilité personnel en cas d'accident, et s'assoit dans un fauteuil pour que l'on appose un casque de neurotransport. Là commence le processus de dissociation de la machine-Corps et de la machine-Esprit. Le corps, vidé de contenu, s'effondre et est rangé en attente du retour du voyageur. L'esprit est transféré dans un corps gardé dans une autre agence, très souvent il s'agit d'un modèle basique avec des extensions de médiocre qualité. Ici, les patrons ont adapté les corps de réception selon le travail des ouvriers pour améliorer leur performance. Ils ne veulent se l'avouer, mais le corps influence l'esprit ; le neurovoyageurs ne restent jamais eux-mêmes pendant et après.

J'ai appris par cœur la liste des structures de l'immeuble : des entreprises, des indépendants, des restaurants, des services publics, des banques, des hôtels, des appartements, leurs numérations, leurs positionnements par rapport aux ascenseurs, les détails de leur paillasson.

Chaque mois, je reçois 550 monnaies. On me prélève automatiquement mon loyer, mes achats alimentaires, mon assurance, et il me reste 50 monnaies. Avec le reste, je vais au club d'ElectroJazz.

Au club, quelqu'un m'a demandé «Et tu aimes ça, ce boulot ?». J'ai souris, c'est quelqu'un qui ne sait pas.

Ce boulot ne me demande pas de carte d'identité, pas de livret de famille, pas de justificatif. On me demande de venir, de trifouiller des implants une fois par trimestre, et de bien fermer ma gueule. Grâce à ça j'ai un toit, je me nourris, et je vais écouter de l'ElectroJazz. Et je poursuis ma quête quand j'y pense.

Alors, même si je suis fatigué, même si cela fait 3 ans que je n'ai pas rêvé, je continue.

Pendant le boulot, certains décident de couper leur circuit conscient. Ne reste plus que leur faculté primal : rester debout et répondre aux ordres. Ils disent que le temps passe plus vite. Leur horloge interne programme le redémarrage au moment de la fin de la journée de travail.

Mais un jour...

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C'est bon. J'arrête.

Pas la peine de prévenir, en moins de 30 minutes de retard un autre candidat R me remplacera.

ElectroJazzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant