Chapitre 2 - L'inconnu

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Je ressemble à un humain. Ne manque plus que de remplacer mon œil de verre, et me voilà 100 % sanguin d'apparence. Qu'un membre de la liste R ressemble autant à un être de chair est regrettable m'a t-on dit. Je hoche la tête et une envie de m'arracher l'autre œil gauche m'assaille. Je veux ressembler à un monstre, faire traîner un dégoût derrière mon passage.

Quand le service d'accueil des nouveaux nés m'a demandé mon nom, j'ai voulu répondre « j'en sais rien » et me suis arrêté à « J'en ». On m'a rétorqué que « Jan » était déjà pris cette année, que ce n'était pas possible, par contre « D-Jan » était disponible.

Quand le service d'accueil des nouveaux habitants m'a demandé mon âge, j'ai haussé les épaules. « 25 ans alors, quand on sait pas on mets ça ici. Vous avez de la chance, dans d'autres villes on vous aurez donné plus, et le prix de votre assurance explose».

Quand le service de la délivrance de papier m'a demandé mon origine, je me suis attendu à ce que l'on m'en invente un. Et non, la femme derrière son bureau a resserré son châle autour de ses épaules et a frissonné quand je lui ai raconté l'histoire de la clinique.

« Non mais non mais non, ça ne passe pas comme ça ici en fait non mais ah mais voilà encore des histoires je n'en peux plus ».

Elle a râlé. Elle a appelé son chef. Elle a râlé. Moi je n'ai pas bougé, on ne demandait rien de moi. Je n'avais plus d'emprise sur la moindre chose. Elle resserrait de plus en plus son châle, je me suis demandé si elle allait disparaître étrangler dedans à force. Son chef a appelé son chef. Ce dernier est venu me voir, sans me voir. Il a grommelé, a acquiescé les « pas possible » de la madame Châle, et a appelé un technicien.

On m'a emmené dans une pièce, au milieu une machine pour analyser mon intérieur. Elle était bruyante, mais j'ai pu entendre des râlements de la part du technicien. « Votre intérieur est incompréhensible. Y'a de tout là-dedans, et on pige pas le matériel d'origine. Pour le pays fournisseur, je laisse tomber. Pour l'âge, il y a des trucs qui datent de 70 ans, d'autres de 10, c'est du recyclage ça se trouve, c'est pas clair. Je peux même pas vous dire si vous êtes à la base un humain ou un android. » Il a envoyé l'analyse au chef-chef qui est venu immédiatement dans la salle d'examen. Il a grommelé et a tamponné la feuille de refus de délivrance. «Revenez nous voir avec des justificatifs de votre origine. En attendant vous êtes sur liste R».

Liste R : pas d'identité prouvé, on ne sait pas quelles bavures tu as commis dans le passé, or le passé te rattrape toujours. Tu as « perdu » ton identité, tu es en tort. Refus d'accès aux véhicules allant à plus de 200 km/heure, refus d'utiliser les agences et cabines de neuroportation, refus d'implant de jet-back, refus de possession de membres DR-bioniques et PO-electro et LO-hack... Tout est plus lent, plus dur, plus contraignant. Quand je me compare aux autres, très vite je pense à la métaphore du boulet aux pieds. Drôle de métaphore quand on sait que maintenant les forces Justice utilisent des Dysfonctionnateurs qui éteignent tout appareil non-sanguin.

Et le prix de l'assurance explose.

Des gens comme moi, on est des tas. On se réveille, on ne sait pas.

On est à la traîne, le pas plus lourd que les autres hypra-humanoïde, on met les deux bras devant nous pour essayer de les rattraper, et on s'essouffle dans cette course inutile. Des fois je rêve de constituer une armée de bras cassés, et on se ferait tous rouler dessus par la première supra-mobile venue et hop, on n'en parle plus.

On ne sait pas d'où on vient, qui on est, on crève, on passe à autre chose.

J'ai fermé la porte derrière moi, pour la dernière fois. La chute des gouttes résonnent dans la rue Rouge, mais mes yeux n'en ont jamais vu, les gouttent s'écrasant toujours sur un des multiples toits de buildings de Ville. Peut-être qu'avec des iris DR-bio...

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Imagine tu apprends que tout ce que tu croyais sur toi se révèle faux. Des fois ça me fait peur. Tu vois, j'imagine qu'au lieu de mon père se soit suicidé, la vérité est que je l'ai poussé au suicide et que j'ai caché la vérité au fond de ma cervelle. Alors, j'en ferai quoi de cette info ? Je me tue par justice ? Je demande pardon à Dieu ? Est-ce que je connaitrais la vérité un jour ? Existe-t-elle ?

Imagine tu te réveilles à 25 ans et tu n'es rien pour personne. Personne pour te demander comment tu vas, si tu es en vie, si tu es heureux. Tu es là, et rien pour te raccrocher aux tumultes du dehors. Ça donne quoi d'après toi ? Je la cherche ma vérité, je ne sais pas si elle existe.

Imagine tu la connais un jour la vérité, tu fais quoi ensuite ? Moi j'ai peur du après, après ma quête, après ma quête y'a rien. Y'a pas grand-chose avant mais si ensuite il n'y a rien, je fais quoi ? Comment je me raccroche ?

La musique. La musique. La musique. La musique. La seule vérité. Tu le sais. Je le sais. J'ai tant de possibilité devant moi, pourquoi je n'en cherche qu'une ?


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⏰ Dernière mise à jour : Mar 12, 2023 ⏰

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