CHAPITRE 5 : Dimanche 13 juin 1993, minuit treize

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   Le visage de Rose pâlit tout à coup. Bien sûr, elle savait qu’elle allait accoucher, mais elle aurait préféré que cela survienne plus tard. Elle avait un mauvais pressentiment au fond d’elle. Elle devinait que les mages noirs les retrouveraient n’importe où. Ils ne lâcheraient pas l’affaire, ils voulaient cet enfant. Ils iraient jusqu’au bout et ne reculeraient devant rien. Elle redoutait d’être séparée de son fils.

— Il faut y aller maintenant. Robert, tu t’occupes de l’empêcher de crier comme tu peux. Il est capital de faire le moins de bruit possible. Frère Jean, prends l’eau, les serviettes et tout le matériel qui se trouve près de la poubelle. Allez vite, cria père Léon dans un moment de panique. Et toi, Rose, il va falloir te préparer à pousser, et surtout, n’oublie pas de respirer, en suivant l’enseignement de notre brave Solaris. Dommage que l’enfant naisse plus tôt que prévu, sinon elle t’aurait assistée dans cette lourde tâche.

   Déjà qu’il paraissait difficile d’accoucher dans la rue, sans soins médicaux, alors quand vous deviez mettre au monde un nouveau-né qui attirait toutes les convoitises… Tous étaient énormément stressés. Robert s’agitait, il n’arrêtait pas de changer de position. Un coup, il s’asseyait en tailleur, la tête entre ses mains, puis il se mettait à genoux. La plupart du temps, il s’accroupissait, regardait tout autour de lui et tendait l’oreille pour essayer d’entendre si quelqu’un approchait.

   Frère Jean n’arrêtait pas de faire craquer ses doigts ou de tapoter nerveusement sur ses cuisses. Le père Léon, lui, paraissait le plus détendu de tous. Son secret : se concentrer sur l’accouchement en essayant d’oublier le danger et la menace qui pesaient sur eux.

— Allez, maintenant il faut pousser, encouragea père Léon.

   Rose refusait, mais malheureusement elle y était obligée. Elle prit une profonde inspiration et poussa aussi fort qu’elle pouvait. Elle savait que c’était la procédure habituelle que le père Léon lui ordonne de pousser ou de souffler. Cependant, cela l’agaçait et pour couronner le tout, son mari, comme tous les époux, répétait stupidement tout ce que le père Léon disait. Mais un ton plus haut et plus vite. Ce qui énervait davantage Rose. Cela ne paraissait pas assez difficile, il fallait qu’il en rajoute. Comme si c’était lui qui accouchait !

   Rose agrippa Robert par le col de sa chemise, se hissa légèrement et lui lança méchamment :

— Je ne suis pas sourde, je t’en prie, tais-toi.

   Elle se laissa retomber lourdement sur le sol.

   Il prit un air sérieux et compréhensible.

— D’accord, chérie, pardon, je voulais juste t’aider.

— Je sais, mais tu m’aiderais plus en te taisant, mon cœur.

   Robert lui sourit tendrement en lui caressant la main.

Le visage du père Léon s’illumina.

— Je commence à voir la tête, allez, un dernier effort, poussez à fond. Le plus fort possible. Soufflez, soufflez, soufflez… Maintenant, poussez, poussez, poussez, allez… le voilà…

   Le père Léon resta figé, les yeux grands ouverts. Rose épuisée, ne remarqua pas son expression, fort heureusement. Robert, lui, oui et s’inquiéta :

— Quoi ? Que se passe-t-il ? Il y a un problème ? C’est normal qu’il ne pleure pas ?

   Rose releva la tête avec les dernières forces qui lui restaient.

— Qu’y a-t-il ? Mon bébé, il va bien ? demanda-t-elle, haletante.

   Le père Léon, dans la panique, ne prit pas le temps de leur répondre. Il ordonna à frère Jean :

— Vite, apporte-moi les ciseaux pour que je coupe le cordon, prends la couverture aussi.

   Ce dernier se précipita, il avait tout aperçu. Il savait que l’enfant que tout le monde attendait était mort. Au teint blanchâtre du nourrisson, il pouvait deviner que cela faisait plusieurs heures, voire plusieurs jours. Leur espoir s’anéantit, le mal allait englober leur monde pour plusieurs siècles. Le grand mage blanc précédent avait rendu l’âme deux jours auparavant. De plus, chose rare, il se trouvait que c’était le grand-père de l’enfant. Si aucun autre ne prenait sa succession, le bien était détruit. Le mal gagnerait. Cet enfant se révélait être le treizième grand mage blanc, plus puissant que tous les autres. Impossible d’imaginer qu’il fût décédé.

   Frère Jean tendit les ciseaux, les larmes aux yeux.

   Rose et Robert comprirent la situation à la mine triste et abattue de frère Jean et de père Léon et s’effondrèrent en pleurs.

   Le père Léon coupa le cordon, séparant ainsi la mère et son enfant. À cet instant, une chose incroyable et impensable se produisit. Les doigts du bébé bougèrent légèrement, son ventre se mit à se soulever et s’abaisser. Son cœur commença à battre, l’enfant ouvrit les yeux. De somptueux yeux bleu azur étincelants. Sa peau reprit une couleur normale. Père Léon sourit et tendit le nouveau-né à ses parents :

— Voici l’enfant prodige, il paraît vivant et en bonne santé. Nous pouvons appeler ça un miracle.

   Les parents du petit pleuraient à chaudes larmes, mais cette fois de bonheur. Rose prit son fils dans ses bras et le serra tendrement en le berçant. Robert passa sa main gauche sur le visage de son garçon et de la droite, il soutint la tête de sa femme. Il embrassa avec douceur son enfant sur le front et lui sourit. Le bébé le regarda et lui rendit son sourire. Il s’avérait incroyablement éveillé, surtout pour un nourrisson qui était encore mort quelques instants plus tôt.

   Robert se redressa subitement :

— Avec toute cette agitation, nous n’avons pas vraiment pensé au prénom.

— Si, moi j’y ai réfléchi, je souhaite l’appeler « Alban ». Qu’en dites-vous, Alban, c’est bien ? répliqua Rose.

   Robert sourit à sa femme :

— Oui, Alban, ça me plaît bien.

   Frère Jean et père Léon acquiescèrent d’un signe de tête, l’air réjoui. Tout allait bien, ils en avaient presque oublié la menace. Cela ne dura pas longtemps, des bruits de pas vinrent troubler le silence. Des pas décidés. Cette fois, plus aucun doute, les mages noirs arrivaient, il fallait agir et vite. Sinon, tout était fini.

Alban, l'enfant prodige. Tome 1: Naissance du pouvoir suprême. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant