Le cheminement de pensée de Claire à ce moment-là est difficile à retracer dans les détails. Il s'agissait d'une situation plus qu'insolite, et il est évident que chaque personne aurait eu une réaction plus ou moins différente. Claire décida d'obéir, peu désireuse de se mettre à dos au mieux une branche secrète du gouvernement, au pire un groupe criminel induit en erreur. Elle les suivit donc hors de l'immeuble et fut conduite jusqu'à une impeccable voiture noire du début du siècle. Un des deux hommes s'installa à l'arrière, laissant le siège passager à Claire. Après avoir démarré la voiture et roulé pendant une dizaine de secondes, l'homme au volant, qui était celui qui avait parlé devant sa porte, s'excusa :
« Pardonnez notre manière de faire, Marie-Claire. Nous ne pouvons pas nous permettre de donner des informations en public. Cette voiture est un des seuls endroits en dehors du QG où nous pouvons parler en toute liberté.
— Qui êtes-vous ?
— Je suis l'agent Laforge. Derrière moi, c'est Charles, en formation.
Charles, qui était naturellement plus jeune, adressa un sourire aimable à Claire en se penchant en avant, entre les deux sièges, pour s'adresser à l'agent Laforge d'un ton insuffisamment bas pour ne pas être entendu par la passagère.
— Monsieur, la patronne a dit que vous ne devez pas parler de nos positions hiérarchiques devant un civil.
— Tais-toi, Charles.
— Oui monsieur.
Le jeune agent se ré-adossa sans un mot de plus. Lorsque Claire demanda à Laforge où ils l'emmenaient, ce dernier lui répondit simplement qu'ils se rendaient avenue Charles de Gaulle. Ce nom lui fit froncer les sourcils : cette avenue, Claire la longeait quelques minutes chaque jour au cours de ses trajets du tram au bureau. Elle n'était bordée que de commerces ordinaires et de fast-foods, et était traversée par quelques rues auxquelles Claire ne trouvait aucun intérêt, même après une intense réflexion.
— Pour qui travaillez-vous ?
— Cette partie est la plus délicate. Pouvez-vous récupérer le dossier qui se trouve dans la boîte à gants, s'il vous plaît ?
En ouvrant le dossier, les sourcils de Claire bondirent.
Il s'agissait de photos insolites, chacune attachée à une fiche explicative. Les photos montraient des choses qui défiaient la raison : des meubles suspendus en l'air comme par magie, un fer à repasser qui émettait de la vapeur rouge sans intervention humaine et sans être branché, un cheval ailé ... d'autres photos montraient des objets à première vue ordinaires, mais les fiches auxquelles elles étaient attachées attribuaient à ces objets des caractéristiques surnaturelles, comme une chaise qui se déplaçait lorsqu'on ne la regardait pas ou un téléphone qui recevait des messages avant qu'ils ne soient envoyés. Alors qu'elle feuilletait le dossier sans savoir encore si elle y croyait ou non, Laforge lui expliqua :
— Nous sommes des agents de l'OCPIF, l'Organisation de Contrôle des Phénomènes Inexpliqués de France. La science avance, Madame Lançon, mais la nature ne l'attend pas. Le monde est empli de phénomènes que la science ne parvient pas encore à expliquer. Le commun des mortels a tôt fait d'appeler ces phénomènes « surnaturels » ou « paranormaux » et de céder à la panique ou la haine. A l'inverse, la plupart des phénomènes peuvent-être dangereux lorsqu'ils sont en contact avec le monde extérieur. L'OCPIF est une organisation indépendante mais soutenue par le gouvernement, qui vise à repérer, à sécuriser et à étudier ces phénomènes.
Claire secoua la tête lentement. Tout cela était un peu gros pour qu'elle puisse y croire. Laforge semblait l'avoir compris, puisqu'il reprit :
— Nous sommes conscients que tout cela est difficile à croire. Mais bientôt, vous allez vous faire une idée par vous-même, Marie-Claire.
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L'Alliance à l'auriculaire
Short StoryQuelque chose cloche au bureau. Marie-Claire semble la seule à remarquer les étrangetés de son collègue Gaston. Que se passera t-il quand elle le questionnera à ce propos et quel effet cela aura t-il sur sa réalité ?