Louis
16 et 17 ansJe regarde les gouttes tomber sur la fenêtre avec Pumpkin sur mes genoux. Le son de la pluie m'apaise.
Je repense à ce qui s'est passé en ce dernier mois. Tout le monde, même les profs, croît que je suis en couple avec Addie. On essaye de rester ensemble le plus de temps possible, de peur que Justin vienne me déranger. Il le fait quand même, mais Addie le remet à sa place. Elle me dit qu'elle est mon bouclier et elle n'a pas tord. Je voudrai tellement être comme elle, avoir son courage.
Si on me posait la question " Qui est la personne qui t'inspire le plus ? ", je répondrais Adélaïde Carter.
Malgré tout, elle et moi, on est encore un peu distant quand on est seul et qu'il n'y a pas de regard pour nous épier. Au moins, on se parle un peu.
- Louis, viens dîner, ordonne mon père en ouvrant la porte de ma chambre.
- J'arrive.
Il sort de la pièce après avoir hoché la tête.
Je caresse une dernière fois mon chat et m'en vais vers la salle à manger.
La première chose qui me surprend, c'est de voir ma mère assise derrière la table.
Elle n'a pas l'air en forme. Ses cheveux châtains sont attachés en un chignon avec des mèches qui en sort et ses yeux sont bornés de cernes. Son front est plissé comme si elle était inquiète. Elle est en train de se ronger les ongles, ça veut dire qu'elle est nerveuse. Je la connais trop bien.
- Maman ?
Elle relève la tête toujours en continuant son geste.
- Oui, Louis ?, dit-elle d'une voix tremblante.
- Tu vas bien ?
Elle contemple la table, un instant, avant de répondre :
- Bien. Je vais bien.
Je m'installe à côté d'elle. Elle pose sa main sur la mienne.
- C'est dur, mon chou.
La dernière fois qu'elle a utilisé ce surnom, j'avais treize ans.
Elle prend la bouteille de vin posée en face d'elle et s'en verse un verre.
Je me disais bien que c'était trop beau pour être vrai.
- Maman...
- Promis, je ne vais pas beaucoup boire.
Tu dis tout le temps ça.
- Maman, s'il te plaît...
- Louis, je suis une adulte. Je suis maître de mes décisions, non ?
- Ok, je dis simplement.
C'est une cause perdue. J'ai déjà essayé de la persuader d'arrêter l'alcool, mais je n'ai pas réussi. Je suis le pire des fils. La bouteille est son moyen de se sentir mieux, d'exprimer sa douleur. Moi aussi, j'ai le mien.
Mon père nous rejoint avec le plat.
Il s'installe et met un morceau dans l'assiette de ma mère.
Ce soir, c'est lasagnes.
Le plat préféré d'Henry. J'espère que mes parents ont oublié ce détail.
- C'est la première fois qu'on mange en famille, je remarque pour faire la conversation.
- On n'est pas au complet !, rétorque ma mère.
- Je sais, ma chérie, murmure mon père en me lançant un regard noir.
- Je suis désolé, maman. Ce n'est pas ça que je voulais dire, je m'excuse.
Personne ne répond.
Mon père poursuit son repas et ma mère essaye de refouler ses larmes.
Sans grand succès.
Le dîner se poursuit en silence jusqu'au dessert car mon père décide de me poser des questions.
- Ça va l'école ?
- Ouais, je souffle.
- Le changement entre le collège et le lycée n'est pas compliqué ?
Je le dévisage.
- Bah, je suis en terminal. Je me suis habitué.
Mes parents lâchent leurs couverts, surpris.
- Terminal ? On pensait que t'étais que en troisième, s'exclame-t-il.
- Le temps passe vite, constate ma mère.
Ils ne savent même pas en quelle année je suis ?
- Du coup le vingt-huit décembre tu fêtes tes seize ans ?, demande mon père.
Je veux pleurer.
- Dix-sept ans, je corrige. Le vingt-sept décembre.
- Ah.
- Changeons de sujet, s'il vous plaît.
- Comment vont tes notes ?
- Je suis plutôt fier de moi. J'ai eu un A+ à mes interros de maths, d'anglais et d'histoire. Les autres cours, je pense que ça va même si je n'ai pas encore eu mes résultats.
- C'est bien, fiston. Tu pratiques un sport ? Le base-ball ? Le football ?
Il ne me connaît pas.
- Je hais le sport. J'ai même eu un F au cours d'éducation physique.
Son visage se décompose.
- Un F ?! C'est une blague ?
- Je ne vois pas où est le problème ?, je riposte.
Il frappe la table du poings et fronce les sourcils, énervé.
- Tu ne vois pas où est le problème ?!, s'écrie mon père. Tu es un Winterson !
- Et ?
- Un Winterson n'a jamais de F à ce cours. On est une famille d'athlète, fiston. Mon père était joueur professionnel de base-ball. J'étais joueur de basket au lycée et à l'université avant d'etre comptable comme ton frère ! Pourquoi tu n'es pas comme lui, Louis ?!
C'est reparti. Je serre les poings.
- Henry était meilleur que toi ! Il était ma fierté ! Lui, c'était un Winterson ! Je suis sûr que tes ancêtres sont déçus !
- Henry avait aussi des difficultés à l'école, j'interviens.
- Au moins, il n'a pas déçu sa famille !
- Papa, ce n'est qu'une note, bordel !, je clame. Je ne suis pas un athlète et alors ? Je préfère rester dans mes bouquins.
- Tu n'intégreras jamais une équipe...
- Putain, ce n'est même pas dans mes projets !, j'interromps. Je ne suis pas Henry ! Est-ce que tu comprends ça ? Je suis Louis ! Pas Henry ! Je suis différent de lui et je m'en fiche. Je ne dois pas ressembler à mon frère ni à toi. Je pense que Henry serait fier de moi en ce moment ! Arrête de me comparer toujours à lui. Henry par ci, Henry par là. Henry, Henry, Henry ! J'en ai marre !
Ma mère se tasse sur sa chaise. Toute cette conversation la blesse. Elle se verse, de nouveau, du vin.
- Lui, au moins, ne se laissait pas faire et n'avait aucune timidité. Pas comme toi ! Tes bleus au début d'année, je sais que c'est quelqu'un qui t'a frappé parce que tu ne sais pas te défendre !
- Si tu le savais, pourquoi t'es pas venu voir comment j'allais ?! Ce n'est pas une question de défense ! Il n'y a aucune justification d'harceler quelqu'un !
Ma mère sanglote et me lance un regard désolée.
Oui, maman. Ton fils est harcelé et si tu savais ce que tout ça m'a fait faire, en plus de l'absence de mon frère.
- Avoue, papa, tu aurais préféré que je parte et que Henry soit resté et non l'inverse !
Il ne répond pas.
C'est douloureux.
- Ok, je lâche. J'ai compris.
- Louis...
- Non, j'ai capté.
Je me relève et sors de la pièce, puis la maison en claquant bien la porte.
Je m'installe dans ma voiture et pleure de colère.
Je quitte le garage et roule. Je ne sais pas où je vais, mais je veux être loin de cet endroit, loin de mon père.
Il pleut toujours, le soleil s'est couché depuis longtemps, les étoiles sont cachées par les nuages. Après une heure de trajet, je décide de m'arrêter. Je me gare dans un parking presque vide. Il y a un building juste à côté. J'ai un sentiment de déjà vu. Ce lieu ne m'est pas étranger. J'aperçois une personne sortir du bâtiment et nos regards se croisent, mais je n'arrive pas à distinguer l'individu. Il s'approche de mon véhicule. Mon corps tremble et j'ai la chair de poule.
Il se rapproche de plus en plus de moi.
Mon cerveau crie de démarrer, mais je suis tétanisé.
La portière passagère s'ouvre et l'inconnu s'installe.
C'est quoi ce bordel !
Je crie :
- Dégagez de ma voiture ou j'appelle la police !
Le type allume son téléphone et la lumière bleu me permet d'apercevoir son visage. Je le reconnais avec ses cheveux châtains, ses yeux verts et sa barbe naissante.
- Louis, du calme !, s'exclame Henry en riant. Ce n'est que moi ! Ton grand frère adoré.
Ma peur est toujours présente, malgré tout.
Ce n'est pas possible.
- Mais toi aussi ! J'ai cru que t'allais me tuer !, je rétorque.
- Toujours dans l'exagération, dit-il en levant les yeux au ciel.
- Qu'est-ce que tu fiches ici ?, j'interroge.
- T'es à mon lieu de travail, bonhomme. C'est à toi que je dois te poser la question, rit mon frère.
- J'ai fui.
Il arrête de pouffer et me regarde intensément.
Je ne pensais pas que cette scène serait possible. J'avais treize ans la dernière fois que je l'ai vu.
- Fui ?
- Oui.
- Pourquoi ?
Je sens que je vais pleurer.
- Rien ne va dans la vie depuis que t'es parti.
Je déglutis plusieurs fois avant de poursuivre :
- Henry, pourquoi tu as fait ça ?
Il reste silencieux.
- Henry, parle !, je m'écris.
Il me prend le bras et retrousse ma manche. Ses doigts se baladent sur mes cicatrices.
- C'est ma faute, n'est-ce pas ?
C'est à mon tour de ne pas répondre.
- Louis ?
- Je suis le seul responsable de ces marques.
- Je suis désolé, Louis. Tellement désolé.
Je pose ma tête sur le volant et laisse mes larmes couler.
- Pourquoi, Henry ? Pourquoi ? Dis-le moi.
- Tu le sais très bien, bonhomme. C'était trop dur pour moi.
- Mais j'avais besoin de toi. C'est toujours le cas, d'ailleurs.
- Louis...Je suis désolé, mais je ne pouvais plus supporter tout ça. Je devais partir loin de mes problèmes.
- Moi non plus, je n'arrive plus trop.
- Mais toi, tu es fort, Louis. Tout comme Addie.
Une vague de chaleur m'empare en entendant son prénom.
- Tu es fort, sache-le.
- Elle se souvient de toi.
- Je suis quelqu'un d'inoubliable, dit-il avec un rire forcé.
Il se penche vers mon oreille et murmure :
- Je t'aime, bonhomme. Tu es le meilleur frère qui existe sur cette planète.
Je relève la tête et remarque que je suis seul. La portière est grande ouverte, mais il n'y a personne.
Est-ce que c'était la réalité ou j'ai rêvé ?
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Broken
RomanceDeux enfants qui sont devenus très vite proches. Deux jeunes adolescents qui sont devenus des inconnus. Deux jeunes adultes qui vont apprendre à s'aimer. Deux âmes qui ont vécues des moments à la fois heureux et malheureux. Adélaïde Carter et Louis...