Le fléau des couleurs

Chapitre XXIII

 Guy et Erwann se trouvaient face à face, éloignés de la foule qui les regardait sans discrétion. Au moment où il avait réalisé la nature de ses sentiments envers son compagnon, il n'avait pas su lui adresser le moindre mot. Et cette réaction l'énerva, car ça ne lui ressemblait pas. C'était lui qui contrôlait ses relations, et il ne devait pas se faire intimider parce que ses émotions le trahissaient. Erwann avait donc, en voyant que Guy ne réagissait pas, proposé qu'ils s'éloignent un peu afin de discuter dans le calme. Il n'avait pu qu'acquiescer, ayant probablement avalé sa langue pendant le trajet ! Il soupira une énième fois avant de se rendre compte qu'Erwann le regardait fixement.

« - Quoi ?

- Cette situation te rend aussi soucieux ? Je ne savais pas que Guy Sove s'était autant attaché à notre relation. »

Cette remarque déstabilisa Guy qui ignorait que son compagnon pouvait avoir des propos noyés de sous-entendus. Mais il ne devait pas se laisser vaincre ; ils avaient une conversation longue à avoir. Et si l'un d'eux devait beaucoup s'exprimer, il s'agissait bien d'Erwann. Guy croisa donc les bras, releva le menton en sa direction et haussa un sourcil. Il reprenait enfin le contrôle de ses émotions.

« - Je t'écoute. »

Erwann, soudainement plus sérieux, se redressa complètement, surplombant Guy devant lui. S'il n'y était pas habitué, Guy lui aurait demandé de s'asseoir. Lever les yeux pour le voir, c'était humiliant. Erwann inspira fortement avant de se lancer dans une tirade.

« - Tout d'abord, je tiens à m'excuser. Je t'ai caché des informations très importantes. Et il y a une raison à cela... Je ne voulais pas te faire souffrir, bien au contraire. Quand on a été séparés, j'ai bataillé avec mon père pour qu'il me laisse partir à ta recherche. Et c'est au même moment que j'ai appris le décès de ta grand-mère. Par ta sœur. Elle m'a aussi confié que si... Tu ignorais son décès, tu ne chercherais pas à revenir ici, et donc, on pourrait mener notre mission. Je te jure que j'ai d'abord refusé, mais elle a tenu des arguments vraiment convaincants. On voit qu'elle veut devenir influente. Elle ne voulait pas t'inquiéter. Et moi non plus. On sait que tu as souffert. On sait que cette cause te tient le plus à cœur. Et je sais que ma décision finale était mauvaise, je n'aurais pas dû te cacher quelque chose d'aussi important. Mais... Je crois que j'avais peur que tu renonces à cette mission et sans toi, je ne peux pas le faire. Tu m'as ouvert les yeux. Et je suis désolé de t'avoir fait autant de tort. »

Les excuses d'Erwann étaient sincères, il n'y avait aucun doute. Et ses mots touchèrent Guy, qui s'en voulait de lui avoir crié dessus, sans savoir toute la vérité. Il avait déduit des choses, qui ne représentaient pas la moitié de la vérité. Et si d'habitude Erwann était quelqu'un avec une certaine prestance, désormais, en face de lui, il semblait s'en vouloir affreusement. Guy avait déjà presque oublié sa colère, avant même qu'ils s'expliquent, mais savoir toute l'histoire, le rassurait dans son jugement. Il décroisa alors les bras et demanda à Erwann de le regarder dans les yeux.

« - Je comprends. Mais ne me cache plus quelque chose d'aussi capital. Je n'abandonnerais jamais cette mission, crois-moi. Me le cacher nous a retardés. Et puis, Rubi m'a bien dit que tu voulais absolument me revoir, alors, tu es bien pardonné.

- Je ne recommencerai plus, c'est promis. Mais qu'est-ce que tu veux dire ? Je n'ai jamais... »

Erwann fut coupé par un cri qui les appelait. Ils reconnurent immédiatement la voix cinglante de Rubi et avant qu'ils puissent faire le moindre mouvement, son chien-loup courrait dans leur direction. Il tira de manière incessante sur la veste de Guy, leur intimant de les suivre. D'un regard, les deux compagnons le suivirent. Quelque chose devait se passer pour qu'elle envoie son animal venir les prévenir.