Chapitre 3

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Le bus ne les avait pas déposés à destination. Le trajet ne passait pas par le sommet de la colline qui surplombait Eisque. Une laborieuse ascension en longeant la route serpentine les attendait en descendant à l'arrêt. Ced avait remarqué l'humeur maussade de Lawrence :

— Allez, tu ne vas pas tirer la tronche toute la nuit. Tu me connais, tu sais que je n'en pensais pas un mot.

Il faisait référence à « gros tas ».

— C'est un sujet sensible, Ced.

Ce dernier soupira, il regrettait tant de l'avoir blessé. Son ami avait constamment besoin d'encouragement, et ce soir plus que jamais. S'il avait été trop loin, c'était parce que Lawrence l'avait énervé.

— Si tu n'avais pas tant traîné, on n'en serait pas arrivé là.

— C'était pas une raison.

— Si c'en était une ! Je te connais : tu retardais le moment de rencontrer ta chère Emy. Arrête de cogiter, mon pote. Fonce, on a qu'une vie.

Même si Lawrence n'avait pas réussi à soutirer des excuses de son colocataire, ce dernier avait vu juste. Malgré son discours devant son miroir, il redoutait l'instant fatidique où il allait devoir retrouver celle qu'il aimait. Cet instant allait se révéler bien plus ardu que la route abrupte qui s'annonçait.

***

Ced et Lawrence étaient déjà sur les rotules et en nage. Pour une pente raide... c'était une pente très raide. Et pour couronner le tout, ils étaient klaxonnés par les autres invités en voiture de luxe. La soirée ressemblait plus à une garden-party pour la jet set qu'à une fête d'étudiants, un endroit qui ne correspondait en rien aux origines modestes de Lawrence. Contrairement à Ced dont les parents étaient de cette génération qui avait profité d'une croissance industrielle effrénée. Pourtant, ce dernier gardait la tête sur les épaules : il avait envie de faire ses preuves sans compter sur la fortune familiale. En dehors de l'appartement qui était en réalité celui de sa grand-mère, il avait toujours essayé de se débrouiller par ses propres moyens. Ceci dit, il regrettait de ne pas avoir un véhicule pour s'éviter la souffrance d'une telle montée.

La fête était bien entamée quand ils arrivèrent jusqu'à une grille en fer au bout d'un chemin de gravier. En traversant le seuil encadré par deux armoires à glace, les deux amis se retrouvèrent devant une villa somptueuse qui dominait la ville. Ils parcoururent une allée de pierres qui descendait à travers un jardin de pins, de cactus et de fleurs aux effluves envoûtantes. Le passage donnait sur une place investie par la faune estudiantine et une piscine démesurée. Les basses de la musique venaient du mas transformé en salle de fête où l'alcool coulait à flots. À peine arrivés, un serveur se présenta à eux pour leur proposer un plateau de coupes de champagne. Ced et Lawrence se rafraîchirent en s'enfilant d'un trait le breuvage pétillant et doré. Notre héros avait besoin de courage et de se réhydrater après l'effort, il but une deuxième flûte sous le regard offusqué du valet.

— C'est complètement démesuré, dit-il à Ced. Ils ont des domestiques, des D.J., des boules à facette...

— Effectivement, coupa le jeune homme à lunettes. Mais cela ne sert à rien de s'extasier, tu as une mission, alors je te laisse.

— Quoi ? Je croyais que tu restais avec moi. Je n'arriverai jamais à m'en sortir seul !

Ced le saisit et le regarda dans le blanc des yeux avec un air solennel :

— Écoute, Lawrence... Moi j'ai réuni toutes les conditions jusque-là. Ce soir, c'est à toi de prendre ton envol, mon petit poussin. On n'est plus des enfants, tu n'as pas besoin de quelqu'un pour te tenir la main. Tu as besoin d'inspirer. Inspire !

Lovely XYX [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant