Chapitre 2

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Aloïs me regarde avec ahurissement. Il désigne la porte, sans me quitter des yeux :

- Tu es sortie avec ce taré ? Murmure-t-il.

Je ne réponds pas. Il me faut absolument une cachette, au cas où il viendrait à l'esprit de Jules de défoncer la porte, et, croyez-moi, il en est capable. Manque de chance. Ce logis, bien qu'étant la copie d'une chambre d'hôtel – si on conçoit que les chambres d'hôtel comportent une cuisine - , ne recèle aucun endroit où nous cacher. Un éclair de génie me traverse, et je lève la tête à l'affut d'une issue de secours. Aloïs, qui vient de me rejoindre à grands pas, se rue vers une porte à l'arrière du bungalow. La voilà, mon issue de secours. Après avoir échangé un regard, nous sortons de la petite maison pour nous frayer un chemin à travers les palmiers. Au bout du camping, il y a une barrière derrière laquelle s'étend un champ à perte de vue. Heureusement pour nous, elle n'est pas électrifiée, ni très haute ; nous avons tôt fait de passer par-dessus. En me retournant, je constate que Jules ne nous poursuit pas. Je ne me retiens pas pour lever un poing, en signe de victoire. Voyant qu'Aloïs s'apprête à crier quelque chose, je plaque vivement une main sur sa bouche pour lui intimer le silence. Jules est peut-être plus proche de nous que nous ne l'imaginions. Il se débarrasse de ma main et murmure, sans cesser d'enjamber les plants de maïs qui recouvrent le champ :

- Qu'est-ce qu'il s'est passé pour qu'il agisse ainsi ?

- Jules est un compétiteur, il ne supporte pas de perdre quoi que ce soit. Même si... je doute qu'il ait de l'affection pour moi.

Aloïs me lance une œillade désolée.

- Il ne te mérite pas, commente-t-il.

Je m'aperçois que deux grosses larmes roulent sur mes joues. Je m'empresse de les essuyer (je n'aime pas pleurer en public). Ma rupture avec Jules ne devrait pas me faire un tel effet, mais j'ai toujours été fleur bleue. Ça doit être à cause des blessures que m'a créé ce lien... que je suis bien heureuse d'avoir brisé.

- Tu dois te dire que je ne te connais pas assez pour dire ça, dit mon compagnon de route.

- Je ne sais pas...

- C'est juste que, quand je te regarde, je vois en toi quelque chose que je n'avais jamais vu autres parts. Et ça ne colle pas avec la description que tu me fais de Jules.

Il s'arrête de marcher, et je l'imite. Je vois en toi quelque chose que je n'avais jamais vu autres parts. Mes joues sont en feu.

- Il t'a fait du mal, n'est-ce pas ?

Je suis tellement concentrée sur son odeur – une odeur de citron – que j'en perds le fil de la conversation. Je lève les yeux vers lui, et je décèle dans les siens une lueur de tristesse. On dirait que j'ai contaminé Aloïs de mon chagrin.

- Oui. Mais je vais m'en remettre, j'ajoute avant de pousser un long soupir.

Nous continuons de marcher, écrasant au passage quelques épis de maïs. Mes joues viennent à peine de reprendre une teinte normale que, déjà, la chaleur du soleil les fait à nouveau rougir, en plus du reste de mon visage et de la transpiration qui commence à ruisseler sur mon front. Il fait de plus en plus chaud, mais je n'ai pas la moindre goutte d'eau dans mon sac. Aussi bête que ce soit, Jules a insisté pour que je me dispense d'une gourde, me sortant pour me convaincre son excuse habituelle : « - Ca va te ralentir ». C'est sûr qu'il vaut mieux mourir de soif que de perdre le rythme. Avant même d'espérer qu'Aloïs s'est procuré une bouteille d'eau, celui-ci fouille dans son Eastpack pour en sortir le fruit de ma consolation.

- Je ne me déplace jamais sans eau, dit-il en me tendant sa bouteille.

- Merci beaucoup.

Je m'assieds dans un recoin dénué d'épis et bois tout mon soûl, laissant approximativement la moitié du contenu de la gourde. J'avais tellement soif que cela ne me suffit pas. Aloïs se laisse tomber à côté de moi et s'empare de la bouteille (il doit presque me l'arracher des mains). Par un heureux coup du sort, nos doigts se frôlent, et une décharge électrique nous envahit. J'esquisse un sourire béat, que je tente de dissimuler en baissant la tête. Aloïs, qui n'a visiblement pas remarqué ma transe, avale d'un trait le reste de l'eau avant de retirer son sweat. Quelle idée de se balader vêtu ainsi en août ! Je dois prendre sur moi pour ne pas loucher sur ses bras. Je me demande comment c'est possible d'avoir de tels biceps quand on n'aime pas le sport.

Entre joies et peinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant