Prologue

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Cette histoire n'est pas intéressante. Bien sûr, vous me direz que ce qui rend une histoire intéressante est purement subjectif, et dans un monde où les histoires compteraient réellement, vous auriez raison. En ce qui me concerne, je n'ai jamais aimé les histoires. Enfin si, peut-être quelques-unes, mais l'histoire n'est qu'un décor, un modèle que l'on peut garder ou bien façonner à sa manière, cela n'a pas vraiment d'importance. Mon truc à moi, c'est les personnages. Ces petits morceaux de vie à qui l'on attribue un rôle, des émotions, des aventures. J'aime comme certains personnages nous ressemblent, aussi lointains paraissent-ils ; j'aime comme ceux que l'on déteste un jour ne nous paraissent plus si mauvais le lendemain. J'aime comme ils nous marquent chacun à leur manière, et à travers un rôle unique, ne laissent pas deux fois la même trace dans les mémoires.

J'ai toujours aimé inventer des personnages, bien plus que des histoires. J'aime ce moment où on les ressent vivre en nous, où chaque instant de leur vie se mélange à nos souvenirs, ce moment où l'on peut modifier la réalité, et où la vérité n'a plus d'importance. Je crois que mon amour pour les personnages s'est transposé dans ma réalité : j'aime les gens, et par-dessus tout, j'aime les écouter parler. J'aime cet éclat dans leurs yeux lorsqu'ils se racontent, cette élégance dans leurs gestes, cette chaleur soudaine dans leurs voix. Bien sûr, je retiens leurs histoires, mais je ne les retiens pas pour elles-mêmes ; je vous l'ai dit, je n'aime pas les histoires. Je les retiens parce qu'elles font partie d'eux, parce qu'elles animent leurs personnages, et parfois même semblent les retenir de tomber comme le fil invisible qui soutient une marionnette. 

Je crois qu'un jour, mon amour du personnage me mènera à ma perte. Bien sûr, les personnages interagissent et se construisent ensemble, mais à trop vouloir comprendre, et à trop les aimer, j'en ai oublié que j'avais moi aussi quelques histoires à raconter.

Cette histoire n'est pas intéressante. Vous en trouverez des centaines d'autres qui vous raconterons la même chronologie, les mêmes péripéties, le même dénouement, et celle-ci n'est pas différente des autres si ce n'est que c'est la mienne. Voyez vous, j'ai imaginé des tas d'histoires, j'ai donné vie à tant de personnages, jamais je n'aurais cru qu'il soit si difficile de raconter ma propre histoire.

Cette histoire, ou puisqu'il faut l'appeler ainsi, mon histoire, elle commence avec une jeune fille de dix ans un peu timide qui n'avait pas pour habitude de rétorquer face aux critiques, et elle se termine avec la moitié du collège rêvant de la tuer. Entre les deux, quelques souvenirs que j'aurai préféré inventer. Dix ans plus tard, une jeune adulte qui n'a toujours pas trouvé sa place dans le décor. Je ne sais pas vraiment ce que j'espère, je ne sais pas vraiment ce que ça va donner, mais puisque vous êtes toujours là, je vous propose de vous installer, et de plonger avec moi dans ce qui est sûrement aujourd'hui encore le plus gros de ces fils invisibles qui retiennent mon personnage. 

ProvisoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant