Chapitre 6 : S.O.S

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Il parait que c'est provisoire, que la roue tourne, pourtant j'ai vite compris que personne ne m'aiderait.

Lors des campagnes contre le harcèlement scolaire ou les interviews faites à ce sujet, on entend presque toujours que l'ultime solution à ce fléau est la parole, que c'est le seul moyen de résoudre le problème. Les spécialistes en sont tellement persuadés qu'ils misent tous leurs efforts dessus ; tous les podcasts, tous les reportages, toutes les affiches préventives ne mentionnent que ça : parlez-en. Je trouve cela extrêmement hypocrite.

Bien sûr, ils n'ont pas tort, il est évident que personne ne doit rester seul face à cette situation, et que la communication est la clé. Toutefois j'aimerais rappeler au monde des adultes que la communication ne porte ses fruits que lorsqu'on la fait fonctionner dans les deux sens, et que là, leurs stupides campagnes de prévention, à défaut d'être au moins inutiles, sont contre-productives. Je vais probablement illustrer mon explication avec l'exemple de mon histoire personnelle, et je sais que toute généralité n'est pas bonne à faire, toutefois compte tenu du nombre de plus en plus important d'histoires ressemblant à la mienne je pense malheureusement pouvoir en tirer une majorité.

Ce que je peine à comprendre, c'est que je n'ai pas été la première à subir ce genre de mésaventures, cela fait maintenant au moins 20ans qu'on en parle de plus en plus, peut-être même plus que ça, et surtout, depuis le début de la médiatisation du phénomène de harcèlement force est de constater que toutes les histoires sont les mêmes. Partout et depuis vingt ans l'on entend des jeunes adultes expliquer qu'ils ne se rendaient pas compte que leurs relations amicales étaient anormales avant d'y être emprisonnés (je le rappelle, un enfant – ou un adolescent – n'a pas la capacité de repérer cela aussi facilement et aussi rapidement qu'un adulte). Partout et depuis vingt ans l'on voit des jeunes qui sont – ou expliquent avoir été – suffisamment terrifiés par les menaces proférées (et parfois mises à l'œuvre) par leurs camarades pour ne pas oser parler, ou s'ils osaient parler, pour ne pas dévoiler toute la vérité, et ainsi ne dire que ce qu'ils étaient autorisés à divulguer. Partout et depuis vingt ans l'on entend les histoires tragiques de ceux qui ne s'en sont pas sortis, et les récits sur les conséquences dramatiques que cela peut engendrer fusent. Et pourtant, toutes les histoires, ou allez, donnons un peu de marge, 90% des témoignages d'aujourd'hui se soldent de la même façon : les adultes auxquels ils se sont confiés n'ont pas essayé de les aider, ou l'ont refusé, ou ne les ont pas crus, sous prétexte qu'il s'agissait sûrement de simples brimades d'enfants. Cela me met hors de moi. Oui, je sais que les brimades d'enfants existent, j'ai été enfant moi aussi, mais je n'arrive pas à concevoir qu'avec toute l'information et tous les témoignages dont nous disposons à l'heure actuelle il soit encore possible que la parole de ces enfants ne soit pas crue, ou pas prise au sérieux, ou déclarée insuffisamment urgente ou importante.

Alors oui, je trouve ces campagnes préventives axées sur la parole des victimes des plus hypocrites, car elles ont un goût accusateur. Quand je lis les affiches ou entends le discours des « experts », ce que j'entends, c'est que c'est à l'enfant de se sauver, que puisqu'il a peur de parler alors c'est sa faute si sa situation ne s'arrange pas. Je crois que vous oubliez que vous parlez d'enfants. Vous vous donnez bonne conscience en disant que vous ne pouviez rien faire car il n'a pas parlé ou n'a pas tout dit, mais c'est entièrement faux, et il y a bien assez de matière aujourd'hui pour le prouver. En plus de ça, il n'y a qu'à relire mon propos précédent ; la très grande majorité des témoignages rapportent un personnel éducatif n'ayant pas pris les plaintes et les souffrances au sérieux. Alors maintenant dites-moi, parler oui, mais à qui ? et pour quoi faire puisqu'on ne sera pas écouté ? Je pense que vos campagnes se trompent de cibles, et que c'est sur l'ensemble du personnel (et pas seulement les enseignants, notamment au collège) qu'il faut miser. Quand vos élèves sentiront qu'ils ont en face d'eux des personnes de confiance qui sont sincèrement préoccupées par leur sécurité et leur bien-être, quand ils seront certains qu'ils seront écoutés sans être jugés, quand ils verront que vous les croyez, quand ils seront surs que vous ferez tout pour les aider et que vous ne les abandonnerez pas, alors ils parleront.

ProvisoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant