D'abord, ils courraient. Les épreuves de léger s'enchainaient, et seuls des tests d'endurance les entrecoupés. Très vite, la section en oublia la faim, puis le sommeil, et enfin, boire, devint un graal lointain, à ce jour perdu. Vomir ses tripes, c'était un luxe, et en seulement deux jours, les effectifs avaient diminué de trois quarts. Pourtant, ça ne faisait que commencer. Milio, Imshy, Charlie et quelques autres, d'après le nouvel instructeur, venaient de passer la présélection. Plusieurs cours allaient alors se suivre, de la stratégie de bataille, où la duchesse excellait, le savoir-être en haute-société, où Charlie excellait, et les connaissances sur le territoire impérial, où l'érudite excellait, bien entendu, également. Milio se retrouvait à l'arrière, mais il n'abandonnait pas et tentait de poursuivre son amie loin devant, pourtant, il n'était pas le seul, son rival, qui faisait deux fois sa taille, montrait des capacités intellectuelles qu'on aurait jamais crues possibles dans une si petite tête. Impressionnant, et, bien que ses sbires essayaient de le tirer vers le bas, à leur niveau, insultant les travailleurs et les plébéiens pour se sentir mieux dans leur propre miasme d'incurie crasse, le baron gardait le menton haut, et poursuivait son apprentissage avec une détermination remarquable.
Comme on pouvait s'en douter, au bout de la semaine, il ne restait plus que trois soldats suffisamment capables pour aller au palais, et vous savez déjà qui. Épuisés mais ravis du devoir accompli, ils eurent finalement le droit de rompre les rangs, et de s'asseoir, sur une sorte de banc en hauteur dans la cour. Face au trio, la vingtaine de gardes personnels du sergent-instructeur, ainsi que ce dernier, droit comme un piquet, qui les toisait, avec une pointe de fierté.
Disons que les oisillons n'ont plus besoin qu'on leur serve leur nourriture prémâchée... C'est déjà ça, mais vous êtes encore bien loin de savoir voler de vos propres ailes, alors, pas de prétention mal placée. Clair ?
Oui Commandeur !
Bien... M'enfin, vous méritez le respect des vrais hommes. Surtout vous deux, messieurs, je n'en attendais pas moins d'une... Enfin, je voulais dire que vous méritiez notre respect, mademoiselle Coeur-de-Lion aussi, vous faites honneur à votre père par vos actions.
Qu'était-ce ? Un brin d'embarras ? Les trois petits oursons s'échangèrent rapidement un regard amusé, qu'ils cachèrent aussi bien que le vieux grizzly gêné de ses mots, qui toussota pour attirer à nouveau leur attention.
Comme je le disais, vous méritez notre respect... Je me nomme Alaârh Pyranh, vous connaissez certainement mon frère, Ikhylore, le Haut-maréchal. Et, grâce à vos cours, vous avez sûrement compris que je n'appartiens pas à l'armée impériale, comme vous. En effet, c'est son Altesse Artfélie, qui m'a missionné pour vous rendre présentables. L'un d'entre vous le sait déjà, mais, la sœur de l'Empereur avait une dette à rembourser auprès de l'un de vos parents, elle considère, dorénavant, sa tâche accomplie... M'enfin. Voici donc les soldats de la Garance qui m'accompagnent, après tout, eux aussi vous respectent. De droite à gauche: Sire Lucien, le Vicomte Marc...
Sans même avoir besoin de les regarder, et, alors que ses yeux s'étaient mis à fixer quelques secondes Milio, le commandeur citait le nom de tous ses gardes sans n'en oublier un seul, d'ailleurs, il en sera de même pour les nouveau-nés. Ils avaient appris, en une semaine, la discipline acquise en une vie, leurs muscles, qui les faisaient trembler, leurs nerfs à vif, encore souffrant, et leur peau abimée feraient en sorte que le trio se souvienne à jamais de ces sept jours, et de chacun de ces noms, de leurs aînés, qui avaient subit le même supplice qu'eux.
La veille, Imshy et Milio se retrouvaient de nuit, face à face. L'un semblait s'excuser, tandis que l'autre lui coupait la parole pour faire de même. Le premier, de ses paroles, et le second, de ses actes, mais c'est le statut du chevalier qui lui avait fait poser le genoux à terre. Ce dernier affirmait qu'il ne ployait pas face au paysan, qu'il n'appellerait dorénavant plus jamais péjorativement, mais à toute sa fière lignée de soldats impériaux, sur qui, il avait jeté l'opprobre, par sa stupidité inégalée. Son père le lui avait appris, lui retirant sa belle armure, et le commandeur, avec son entraînement plus que rigoureux, le lui avait fait comprendre jusque dans ses os. Un rire chaleureux et plutôt discret répondit à toutes ces déclarations. Il n'était pas une demoiselle à qui Imshy devait faire la cour ! Alors, Milio copia son adversaire, grâce aux bonnes manières qu'il venait d'apprendre, le matin-même, puis, il posa sa main droite sur l'épaule gauche de son frère d'arme. L'homme n'eut d'autre choix que de répondre par un sourire identique qui égaya rapidement son visage. Les deux soldats se gaussèrent de leurs anciens griefs, qui semblaient bien lointains, avant de se relever, pour aller se coucher.
Nous nous retrouvons enfin à l'aube de la seconde semaine du mois, le cortège de militaires prêt, le trio à sa tête, le commandeur lança la marche à travers la ville.
Fyrialis, la cité la plus au sud du continent impérial, également troisième la plus habitée, après la capitale et Port-Opaline. Vivant du commerce, elle est productrice d'une teinture rouge, extrêmement prisée de par le monde, qui a d'ailleurs donné son nom à sa garde: La Garance. Cependant, ce n'est pas la seule chose qui donne une telle portée économique au pôle urbain. La futaie au nord, là d'où vient Millio, est pleine de la meilleure viande et des plus succulents vergers de l'Empire. Sans parler de sa proximité avec le Berceau Impériale, une grande île au sud, qui attire tous les nobles touristes qu'une ère médiévale peut avoir. Pour faire court, Fyrialis brille par ses richesses, son terroir, sa portée historique et savante, mais surtout, par les cheveux ardents qui y résident: La sœur de l'Empereur, mariée à la famille Fyrrh, gouverneure du sud. Centre économique, étudiant, culturel et militaire, rien que ça.
Tandis qu'ils révisaient leur savoir, les jeunes-gens virent défiler devant leurs yeux, les magnifiques rues du quartier noble. Des immenses bâtisses d'une pierre rouge-orangées à leur base, et d'un bois blanc, presque immaculé, en hauteur, garnissaient les pavés caramels parfaitement agencés de la route. Quelques éclats de lime surgissaient par-ci de-là, pour donner de l'ombre, et cacher les aristocrates qui souriaient de leur plate politesse au rang en marche. Les arbres étaient bordés de petites haies et de buissons en fleur, voire, en fruit. Charlie salua d'ailleurs, le plus radieusement possible, un jeune enfant qui pataugeait près d'une fontaine périphérique, en savourant une frabelle; un fruit, ressemblant à une fraise de la taille d'une mandarine, et à la douceur sucrée, particulièrement juteuse. Enfin, on arrivait dans l'avenue principale, plus large et ouverte encore, seul moyen d'accéder au palais. Celui-ci, stratégiquement placé pour que le soleil se lève derrière lui, déversant un océan de lumière dans les lieux, éblouissait de beauté les deux garçons, qui n'avaient clairement pas l'habitude d'une telle splendeur. Il fallait dire que la Somptuosité accueillante disposait d'un dôme de verre comme toit de son observatoire, au niveau de l'aile droite, il surplombait la ville entière, ne créant pourtant presque aucune ombre. On pouvait voir tout ce qui s'y passait, des érudits discutaient de leurs dernières découvertes avec des lettrés, en saluant, de près de cent mètres de hauteur, la parade rouge de soldats qui arrivait finalement jusqu'aux jardins cramoisis. Les plantes donnant la teinture garance, si iconique à Fyrialis, poussaient comme des tournesols aux pétales immenses et rouges, mais avec, en comparaison, de fort fines tiges, cachées en dessous. Ainsi, à hauteur d'adulte, on voyait deux véritables lagons sanguins qui empêchaient toutes les autres espèces de pousser. Ces derniers, étaient entourés de côtes en haies vertes, agrémentées de buissons aux fleurs d'un rose pastel, qui menaient jusqu'à l'allée principale et les grandes portes, liserées d'un blanc sublime, qui rayonnait comme toute l'immense demeure.
Des gardes en armure ouvrirent alors l'entrée. Puisqu'ils ne portaient pas le blason des Fyrrh, il ne pouvait s'agir que d'hommes de l'Empereur, indiquant logiquement la présence d'un invité de marque.
Enfin, les vingt-quatre entrèrent dans la salle de réception, chacun posant genoux à terre face à une silhouette enrobée d'une robe immaculée qui leur montrait le dos. Le dernier à entrer, était le commandeur, qui déclama avec respect, étant le seul du groupe à avoir le droit d'oser adresser la parole à une telle figure.
Le comte Alaârh Pyranh, simple commandeur de la Garance, se présente en compagnie de son humble garde et des trois soldats impériaux qu'il a évalué, de son jugement de simple humain, dignes de se présenter devant votre Suprême personne, saint porte-parole de l'Aimé des Dieux, loué soit son Divin nom, l'Empereur des hommes.
Le vieux luron se joignit alors à sa troupe pour s'incliner, en toute sobriété, devant eux, comme pour préciser qu'il était responsable d'eux et de leur comportement.
Le Mage-Blanc se tourna alors.
VOUS LISEZ
La Douce Mésaventure
خيال (فانتازيا)Le Monde d'Alaraah est sur le déclin; le bastion de la civilisation, l'Empire, cède sous le poids de ses contradictions, de la corruption qu'on appelle "république" et des attaques barbares. Pourtant, nous nous retrouvons aux côtés de Milio et ses a...