La Plage Interdite

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Il existait une plage maudite,
Un endroit où toute relation qui y débuterait
Serait empoisonnée par le sable sous ses pieds.
Alors, celle-ci était interdite.

Un beau jour, une pieuvre s'y était échouée.
Elle avait voulu se rapprocher un peu plus du bord,
Mais le courant l'avait emmenée.
Désormais sans espoir, elle attendait sa mort.

Mais le destin en avait décidé autrement :
Un jeune lion, très aventureux,
Avait fugué de son clan.
Après des jours de marche, il était toujours ambitieux.

Sans savoir où son corps le guidait
Il suivait aveuglément,
Jusqu'à tomber nez à nez
Avec une carcasse se décomposant lentement.

La chose en question était en fait bien vivante.
Remarquant que le mollusque respirait,
Le lion s'empressa de l'aider.
Il poussa la chose visqueuse et agonisante.

Une fois dans l'eau, ses yeux s'éclaircirent.
Et le lion crut voir sur son bec un sourire.
Pour le remercier, la pieuvre lui dessina sur le sable
À l'aide de son encre, un cœur formidable.

Et ainsi débuta une amitié sans précédent,
Jamais ces deux espèces ne s'étaient rencontrées.
Désormais elles regrettaient de ne pas l'avoir fait avant.
Car leur complicité était à jalouser.

Ils ne savaient pas que dès leur premier regard,
Il était déjà trop tard.
Le lion ne pouvait pas lire les avertissements dispersés.
La malédiction avait commencée.

Ils se voyaient d'abord quelques fois,
Puis très vite le poison s'infiltra.
Cet endroit devint leur point d'encrage.
Comme si l'ancre était l'écume de la plage.

Plus le temps passait, plus le poids était lourd.
Sous sa fourrure grandissait une flamme
Qui se reflétait dans les pupilles de la pieuvre.
Plus rien ne faisait sens, ni la nuit ni le jour.

Comme si plus rien ne comptait
Si ce n'est leur amour naissant.
L'un courait,
L'autre nageait en le suivant.

Des heures à se suivre,
À s'envoyer de la terre et de l'eau,
À se regarder beaucoup trop,
Ils donnaient du sens au mot "vivre".

La pieuvre promit au lion qu'elle lui apprendrait à nager.
Jamais il n'avait été si heureux,
Il décida donc de dormir à proximité,
Mais la nuit, l'océan devenait affreux.

Les vagues explosaient contre les rochers,
L'eau était sombre.
La pieuvre n'était qu'une ombre.
Le lion se sentait en danger.

Le lendemain, le lion attendait.
Mais après plusieurs heures,
Toujours aucun signe de l'octopidé.
Son corps commençait à avoir peur.

Il tremblait, rugissait, appelait
Ses yeux la cherchait.
Il n'y avait que de l'eau à perte de vue,
Il aurait dû savoir que sans elle il était perdu.

Il décida de l'attendre jusqu'à ce qu'elle revienne.
Si seulement il avait réfléchi,
Avant de se jeter dans cette duperie.
Il ne partirait plus sans que la plage ne le retienne.

Évidemment que l'octopus réapparut,
Lui aussi était maudit après tout.
Il n'aurait pas dû,
Mais l'abandonner creusait dans son cœur un trou.

Les deux âmes sœurs se retrouvèrent.
Sans savoir à quel point leur relation
Les menait droit dans un trou de verre.
Leur ivresse éphémère n'était qu'affabulation.

La pieuvre était de plus en plus froide,
Son encre alimentait désormais son cœur,
Le rendant aussi noir que maussade.
Le mollusque était désormais un prédateur.

Mais le lion préférait mentir,
Depuis le début, il ne faisait que fuir sa propre vie.
Son pouls allait trop vite pour le ralentir,
Le félin était désormais asservi.

Tous les actes bienveillants du poulpe
Avaient un goût amer.
Sûrement était-ce le sel de la mer,
Le lion décidait de garder la vision trouble.

Il était déjà trop tard pour s'en sortir sans blessure,
Mais encore temps pour fuir une nouvelle fois.
Le chat choisit de défier cette plage et ses lois.
Il venait de s'infliger sa propre griffure.

La malédiction venait de se celer.
Les deux animaux n'étaient plus que des prisonniers.
Et l'un tomberait avant sa moitié.

La pieuvre incitait le lion à plonger,
Lui rappelant la leçon qu'elle ne lui avait jamais donné.
Mais il refusait, effrayé.
Une dispute éclatait.

L'une criait, jetant de l'encre,
L'autre rugissait, crachant sa salive.
Comment pouvaient-ils se comprendre ?
Le lion aurait dû rester sur la défensive.

Des tentacules noircis par la colère,
S'enroulèrent autour de ses pattes.
Elle le tira dans les vagues téméraires.
Si seulement elle avait été plus délicate.

Le fauve savait courir,
Mais nager n'était pas son point fort.
L'écume frappait, malgré ses efforts.
La pieuvre n'allait pas le secourir.

Trempé, sans repères, agonisant,
Il se noyait lentement, à côté de son bourreau
Comme si l'effroi devenait son jumeau.
Il mourait sous son regard terrorisant.

La pieuvre noire plongea,
Accompagnant le lion dans les profondeurs de l'océan
Ses poumons menaient leur dernier combat
Le poulpe nageait en les emprisonnant.

Sa fourrure or était recouverte de tentacules obscurs.
L'omniprésence de l'eau rendait ses larmes invisibles.
La malédiction n'était plus que de la torture,
Le drame était malheureusement si prévisible.

Elle finit par le relâcher, le laissant couler au fond.
Ses yeux s'assombrirent en le regardant disparaître,
La surface était plus lumineuse que les tréfonds.
Une relation créant autant de bonheur que de mal-être.

Il existait un océan brumeux,
Un lieu remplit d'histoires oubliées
Car emportées par le courant accoutumé.
Comment pouvait-on savoir qu'il était monstrueux ?

06/08/2022

Recueil de BordelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant