Chapitre 1

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« Ils s'apprêtaient à entrer. La porte n'allait pas tarder à céder sous leur force, chacun de leur coup faisait trembler les murs. La pauvre petite, cachée derrière ses parents, ne comprenait pas. Devant elle, les deux adultes ailés chuchotaient à toute vitesse, l'air inquiet. Elle n'aimait pas ça ; ses parents étaient forts et rien ne pouvait les effrayer ! Les gens qui étaient derrière la porte, et qui faisaient trembler la maison comme la plus terrible des tempêtes, devaient vraiment être puissants.
Bientôt, sa mère se tournait vers elle. Malgré la situation, elle affichait un sourire rayonnant qui réchauffa le cœur de la petite fille.

Emily, chérie, nous allons jouer à un jeu. Tu vas sortir par la porte de derrière et courir loin, loin, très loin, jusqu'à être à bout de souffle. Papa et maman te retrouveront là où tu t'arrêteras, d'accord ?

La petite acquiesça et ferma les yeux alors que sa mère caressait doucement sa joue.

Alors va, Emily. »

— Emily... Emily !
J'ouvre les yeux dans un sursaut, éclipsant aussitôt l'image de ma mère. Plus j'essaie de m'en rappeler, plus les détails m'échappent.
Elle était si belle, me souffle une voix.
Nouveau sursaut, plus discret cette fois. Pour masquer ma confusion, je fais mine de m'étirer et découvre le visage d'une jeune femme qui me fixe en souriant, son nez presque collé au mien.

— Alors, on dort déjà la marmotte ? lance-t-elle d'un ton enjoué.
— Je reposais mes yeux, je réplique d'une voix fatiguée qui ne trompe personne.

En regardant autour de moi, je vois que le musée est vide, à mon grand soulagement. Il n'aurait plus manqué que les visiteurs me voient dormir au lieu de tenir l'accueil... Ou pire, le patron ! Heureusement, seules les vieilles statues, les tableaux et les autres sculptures semblent me juger – tout ça ainsi qu'Evangeline, ma collègue et amie.
C'est une jeune femme d'une vingtaine d'années environ, tout comme moi, à la peau pâle cachée sous une cascade de longs cheveux blonds bouclés. Son nez droit et sa mâchoire carrée n'enlèvent rien à la douceur de ses traits, bien au contraire. Ses yeux verts brillent toujours d'un éclat malicieux quand elle me regarde, et dans ces moments-là, je sais que je vais avoir le droit à une taquinerie dont elle a le secret.
Cette fois n'a pas échappé à la règle.

— Oh excusez-moi, Milady, répond-elle aussitôt dans un geste théâtral.
— Arrête un peu de m'appeler comme ça, soupiré-je. Ça fait deux ans, je n'ai plus d'accent maintenant.
— Attends ! s'exclame-t-elle en plaquant ses mains sur le bureau d'un geste brusque pour mieux me faire face. Déjà deux ans ?

Eh oui, déjà deux ans. J'ai moi-même du mal à m'en rendre compte. Deux ans depuis ce jour de révolte à la prison des Narques. Deux ans que j'ai compris, ou plutôt qu'on m'a fait comprendre, que ma vie allait dans la mauvaise direction. Deux ans maintenant que je cherche à lui donner un tout nouveau sens. Loin des Narques, loin des Myrmes, loin de leurs combats.
Je m'apprête à répondre lorsqu'une voix bien plus grave retentit au-dessus de nous, depuis l'étage en mezzanine.

— Hep, les filles ! Vous auriez l'heure s'il vous plaît ?

C'est notre patron, un type a l'air bourru et aux épaules carrés qui donne l'air de vouloir vous casser la figure à tout instant, même s'il n'en est rien, car sa gentillesse créé un contraste étonnant avec son physique.
Sans réfléchir, je tourne la tête vers la pendule, tout au fond du musée, et active la Facette de l'Aigle. Aussitôt, les aiguilles, les chiffres, et même le petit soubresaut de la trotteuse avant qu'elle n'avance, m'apparaissent aussi nettement que si j'y avais collé mon visage.

— Il est seize heures, répondis-je machinalement.

En tournant de nouveau la tête, je remarque que les deux autres me regardent d'un air étonné. Evangeline est la première à se reprendre et jette aussitôt un coup d'œil à son portable pour vérifier, avant de me jeter un sourire complice et admiratif.

— Comment tu sais ? demande mon patron d'un air sceptique.
— Héhé ! J'ai un super-pouvoir ! répondis-je en riant.

Ce qui n'est pas tout à fait faux.

— C'est ça ! Si seulement tu avais le pouvoir d'accélérer le temps... Ou de faire venir plus de monde ici !

Nous rions tous les trois en jetant un œil à travers la grande fenêtre. Pour la première fois de la semaine, une pluie bienvenue rafraîchissait la ville et offrait une pause bienvenue dans la canicule qui durait depuis déjà deux longues semaines. Quelques gouttes de pluie qui ont suffi à dissuader les moins courageux à se rendre au musée.

— En vrai, repris-je plus sérieusement, j'ai juste regardé sur mon portable juste avant que tu arrives.
— Oh, d'accord. Eh bien je crois qu'il n'y aura personne d'autre aujourd'hui, vous pouvez fermer. Je vais rester encore un peu, alors ne m'attendez pas ! Bon week-end les filles !
— Bon week-end ! répondons-nous en chœur.

Quelques instants plus tard, je me réfugie sous le parapluie que m'offre Eva et nous avançons en silence pendant quelques instants. Alors que je cogite sérieusement pour trouver un sujet de discussion, c'est elle qui prend la parole :

— Alors, qu'est-ce que tu vas faire ce week-end ?
— Euh.. Sûrement lire un peu. Et me reposer, surtout.

Et absolument pas voyager à tire d'aile pour trouver des Kamkals. Nooon.

— Et toi ?
— Je ne sais pas trop, répond-elle en haussant les épaules. Ça fait longtemps qu'on est pas sorties toutes les deux ! Je t'aurais bien proposé d'aller boire un verre, mais si tu préfères te reposer...
— Non ! je m'exclame un peu trop fort.

Elle tourne vers moi ses yeux où je peux de nouveau voir cet éclat amusé. Je me racle la gorge avant de reprendre :

— Non, au contraire ça me ferait plaisir. Même endroit, même heure que la dernière fois ?
— Tu lis dans mes pensées !

Nous arrivons finalement devant chez moi, et après un bref au revoir, je pousse non sans soulagement la porte de mon appartement.
En essayant d'oublier ce problème de voix dans ma tête.


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Attention, il s'agit d'un premier jet, il risque d'y avoir des changements au fur et à mesure que j'écris ! ^^
(Mais n'ayez crainte, j'ai déjà toute l'histoire en tête ! >:D )

Les Ailes d'Émeraude - ProphétesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant