Chapitre 3

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Nous nous retournons toutes les deux dans un même mouvement. Derrière nous, une femme nous observait, son long manteau noir ondulant sous le vent. Je l'ai tout de suite reconnue ; c'était elle qui m'observait à la terrasse tout à l'heure. Et ses yeux étaient de nouveau fixés sur moi. Mais cette fois, un sourire étirait ses lèvres, et un frisson parcourut ma nuque.
Un long et gênant silence passa, durant lequel Eva nous regarde alternativement. Elle doit sans doute penser que je la connais. Réalisant que ce n'est pas le cas, elle fait un pas en avant tout en se mettant légèrement devant moi.

— Je vous reconnais, vous ! Vous êtes qui, un genre de stalkeuse ?

Je n'avais jamais entendu sa voix aussi agressive. Je pose une main sur son épaule et me place à ses côtés, après lui avoir adressé un sourire lui indiquant que tout allait bien. L'autre femme, quant à elle, n'a pas réagi à la remarque, si ce n'est son sourire qui s'est légèrement agrandi.

— Tu n'es pas facile à trouver, Emily, finit-elle par reprendre.

Sa voix est douce, calme et ferme. La voix d'une adulte qui a l'habitude d'être autoritaire mais patiente.

— Comment connaissez-vous mon nom ? répliqué-je. Et qui êtes-vous ?
— Pardonne-moi, j'en oublie les bonnes manières. Je m'appelle Miryam, et tout comme toi, je suis une Kamkal.

Mes yeux s'écarquillent et je sens mes joues s'empourprer alors que je m'efforce de ne pas croiser le regard interloqué d'Eva.
Oh non, oh non, oh non...
Mon pouls s'accélère. Si seulement Eva n'était pas là, j'aurais pu parler plus librement avec cette femme, Miryam ! Après deux ans de recherches, voilà qu'une Kamkal se présentait finalement devant moi !
C'est un peu louche, d'ailleurs.

— Vous n'avez pas répondu à la seconde question, je fais remarquer.
— J'ai connu ta mère, répond-elle simplement. Elle venait de mon village, dans la montagne Noire. J'ai été attristée d'apprendre sa mort.

Son regard se voile, et je sens qu'elle dit la vérité. Ce qui ne m'aide absolument pas, bien au contraire, cette femme m'apporte plus de questions que de réponses ! Si ma mère avait connu quelqu'un qui s'appelait Miryam, j'en aurais déjà entendu parler non ?
A moins que je l'ai oublié avec le temps... J'étais si jeune quand elle et mon père sont morts. Je me rends compte que je ne me souviens à peine d'eux, de leur visage. Alors se rappeler que ma mère ait mentionné cette femme ? Je ne savais même pas qu'elle venait de la montagne Noire ! Depuis deux ans, je vis à côté du village où a vécu ma mère !

— Emily ? appelle Eva du coin des lèvres, inquiètes. Ça va ? Tu es pâle.

Je hoche la tête sans quitter Miryam des yeux. Même si ce qu'elle dit est vrai, je me méfie d'elle.

— Pourquoi venir maintenant ? J'ai passé deux ans à vous chercher en vain.
— Comme je l'ai dit, tu es difficile à trouver. Tout comme nous, d'ailleurs. Les Kamkals d'ici ont appris à effacer leurs traces, et s'il reste des témoignages de notre présence, nous faisons en sorte qu'ils tournent en rond et que personne ne puisse remonter jusqu'à Absolas.

Ce qui explique pourquoi je n'arrivais à rien. Je me sens de plus en plus embrouillée, et le mal de tête qui me menaçait plus tôt dans la journée recommence à me marteler les tempes. À côté de moi, Eva commence à s'agiter. La pauvre ne doit rien comprendre, et elle doit sûrement s'impatienter.

— Nous t'avons vu arriver en Occitanie mais nous avons rapidement perdu ta trace. Nous pensions que tu savais où se trouvait Absolas, que tu voulais vivre dans le village de ta mère, alors nous t'avons attendu. Et lorsque nous avons compris que tu ne viendrais pas, j'ai pris la décision de venir te chercher moi-même.
— Bon écoutez, s'exclame soudain Eva. Je comprends absolument rien à votre charabia d'Absotruc et de Kamikaze. Quoi que ce soit, on est pas intéressées, alors laissez-nous tranquilles !
— Au contraire, je pense qu'Emily est très intéressée, qu'en dis-tu ?

Un malaise m'agrippe le ventre et je chancelle. Je dois me pencher un peu en avant pour garder contenance.

— Comment savoir que vous dites la vérité ? Je ne vais pas vous suivre juste avec votre joli récit.
— J'ai bien peur que tu n'aies pas le choix, ma chérie, minaude Miryam en penchant la tête sur le côté. Vois-tu, il se trouve que notre village a besoin de toi, tout autant que tu as besoin de lui.
— Hého, on va se calmer ! s'écrie Eva en se plaçant de nouveau devant moi. Elle ne vous suivra nulle part ! Si vous la menacez, j'appelle les flics !

Lentement, très lentement, Miryam tourne la tête pour daigner poser son regard sur Evangeline. J'essaye de la tirer vers moi pour la mettre à l'abri, mais elle me repousse, les yeux méchamment plantés dans ceux de la Kamkal.
Cette dernière n'est pas impressionnée le moins du monde. Au contraire, elle dégage une froide sérénité qui me fait une nouvelle fois frissonner.

— Allons, allons, susurre-t-elle. Inutile de proférer des menaces.
Je vous menace ? Mais...
— Emily nous cherche depuis deux ans, il serait dommage d'utiliser la force pour qu'elle m'accompagne.

En une seconde, je prends ma décision. Si elle veut faire du mal à mon amie, je l'en empêcherai. J'ai repoussé Evangéline sur le côté et, d'un geste vif, j'ai sorti la dague que je cachais sous mon gilet pour la pointer en direction de Miryam.

— Emi... ?

— Je ne vous suivrai pas, dis-je à la Kamkal sans faire attention à l'exclamation de surprise d'Eva. Les Kamkals que je cherche sont des gens pacifiques, ce que vous n'êtes apparemment pas. Si vous vous en prenez à nous, vous le regretterez.

Elle se contente de m'adresser un sourire triste.

— Pardonne mes méthodes, Emily. Nous sommes bien pacifiques envers les humains et les autres Kamkals. Si je dois te presser, c'est parce que l'urgence de la situation l'exige.
— Je vous ai dit que je ne vous suivrais pas. Partez. Maintenant.

Je la fusille du regard. Après quelques secondes, elle pousse un soupir et hausse les épaules. D'une poche, elle sort la même boîte en métal que tout à l'heure, en inspire de nouveau le contenu pendant un instant, et la boîte disparaît de nouveau dans son manteau.

— Tu peux ranger cette arme, je m'en vais. Quel dommage... Mais je devais m'attendre à ce que tu ne comprennes pas. Tu n'es encore qu'une enfant.

Je fulmine mais ne réponds rien tandis qu'elle tourne les talons. Nous la regardons s'éloigner, et pendant qu'Eva adresse un geste très amical à Miryam, je range discrètement ma dague sous mon gilet.

— Ouais c'est ça ! Et que je te revois pas, sinon je te mets un bourre-pif dans les gencives !
— Je pense que ça ira, souris-je en posant une main apaisante sur son bras. Viens.

Nous traversons les rues en direction de mon appartement. Durant le trajet, je me retournais toutes les trente secondes pour vérifier que nous n'étions pas suivies, mais les rues étaient désertes. J'ouvre rapidement la porte de mon immeuble et, tout en jetant un dernier coup d'œil à droite et à gauche, je pousse sans ménagement mon amie à l'intérieur.
Une fois arrivées dans la chaleur douillette de mon appartement, Eva se retourne vers moi, l'air sévère, les mains sur les hanches.
Oh oh...

— Bon, tu m'expliques ce qui vient de se passer ?

Les Ailes d'Émeraude - ProphétesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant