Chapitre 2

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La porte de l'appartement se referme derrière moi, et je ne peux m'empêcher de jeter un œil désespéré au bazar qui règne dans le salon. Et je ne vous explique pas l'état de ma chambre. Pour ce qui doit être la centième fois, je me dis qu'il faut absolument que je fasse un peu de ménage, si je ne veux pas avoir des souris et des araignées pour colocataires ; mais j'en ai rarement le temps, entre mon travail et mes « sorties » du week-end.
Une fois les rideaux tirés pour donner à la pièce cette ambiance tamisée que j'apprécie, je retire mes baskets et me déshabille rapidement pour aller prendre une bonne douche chaude, non sans pousser des soupirs de soulagement. La journée a été longue, et rester pratiquement sans bouger pendant des heures vous fait découvrir des muscles dont vous ne soupçonneriez même pas l'existence. Une fois sous l'eau brûlante, je roule des épaules en sentant chacun de ces muscles se détendre petit à petit.
En sortant, je prends le temps de me regarder dans le miroir tout en me séchant ; je n'ai pas grandement changé en deux ans, mais j'aime à penser que mon visage affiche une maturité nouvelle, bien que certains pourraient penser que mes traits sont encore trop enfantins. Peut-être à cause de mon nez en trompette ou de mes yeux en amande d'un bleu électrique. Je préfère me dire que ces yeux me donnent un regard perçant. Ironique, puisque je peux réellement avoir un regard perçant, merci la Facette de l'Aigle.
La seule chose qui a réellement changé depuis deux ans, ce sont mes cheveux. Le blanc n'étant pas vraiment une couleur naturelle chez les jeunes humains, je les ai teintés dans un brun brillant et banal, une couleur parfaite quand on veut se fondre dans la foule.
Je m'approche d'un pas du miroir et écarte les mèches... La dernière couleur commençant à dater un peu, mes racines redeviennent déjà blanches. Décidément, j'allais devoir me prévoir un gros budget coloration si je voulais continuer à vivre parmi les humains en restant inaperçue.

De retour dans le salon dans mon pyjama préféré, la peau encore fumante d'une légère vapeur, j'allume la télé. Non pas que je la regarde, c'est plutôt pour avoir un bruit de fond pendant mes recherches. Tout en me dirigeant vers la table derrière le canapé, je jette un œil à l'écran : apparemment, une voiture folle a échappé à la police en fonçant sur une plage et en terminant sa course dans l'eau, et ses occupants ont mystérieusement disparu.
Le monde devient vraiment fou, je soupire intérieurement en hochant la tête.
Mais retournons à mes moutons. Ou en l'occurrence, au tas de cartes éparpillées sur la table.
Pendant les deux dernières années, j'ai cherché les traces de kamkals pacifiques un peu partout, suivant toutes les rumeurs et on-dit des coins que je visitais. Mes pas m'ont rapidement mené en France, et plus précisément dans la ville de Carcassonne, où je me suis installée pour mieux poursuivre mes recherches.
Mais malgré toutes mes tentatives, je n'ai pas avancé d'un pouce. Chaque week-end, je sors de la ville et survole les forêts et montagnes alentour, repoussant toujours plus le périmètre de recherche, sans succès. Et je dois bien avouer que je commence à désespérer. Un sentiment qui n'est pas aidé par les innombrables ratures, croix et noms barrés en rouge sur mes cartes.

J'ai passé toute la nuit à me creuser la tête, à surfer sur internet et à feuilleter des livres récents sur des contes et légendes endémiques à l'Occitanie. J'ai sûrement dû m'endormir à un moment, puisque lorsque j'ai rouvert les yeux, le soleil se levait à travers les rideaux et une petite tache de bave s'étendait maintenant sur mes cartes.
Beurk.
Même combat pendant la journée, ne faisant des pauses que pour aller aux toilettes ou pour aller chercher quelque chose à grignoter dans mon frigo à moitié vide. Arrivé en fin d'après-midi, un mal de tête menace de me submerger lorsqu'une notification de mon portable me tire de mon triste sort.

« Hello Milady ! T'as pas oublié qu'on devait se voir hein ? »

Je secoue la tête, un sourire aux lèvres. Même par message, elle ne peut pas s'empêcher de m'appeler comme ça. Je n'avais eu aucun mal à apprendre le français, mais mon accent anglais avait persisté plusieurs mois, et Evangéline continuait à me charrier avec ça.
Je lui pianote une réponse rapide pour confirmer que je n'ai pas oublié – ce qui est totalement faux – et me lève d'un bond pour aller me préparer.
Quelques minutes plus tard, je me suis vêtue d'un jean, un débardeur rouge sous un fin gilet noir, ainsi que de mes éternelles baskets. La pluie qui s'était acharnée hier était partie aussi soudainement qu'elle était venue, laissant place à l'habituelle chaleur du sud en plein été. Une fois mes cheveux tirés dans mon habituelle queue-de-cheval, je verrouille la porte de l'appartement derrière moi et sors dans la rue.

Les Ailes d'Émeraude - ProphétesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant