Chapitre 4 - Ambassades

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« Putain, qu'est-ce que je fous là, moi ! »

Milo frotta ses mains gantées l'une contre l'autre en soufflant dessus pour les réchauffer. Il ne sentait quasiment plus le bout de ses doigts, engourdis et raides.

« Tu sais que ça ne sert à rien ce que tu fais ? »

Le chevalier du Scorpion releva la tête, agacé. Aussitôt un souffle d'air glacé, coupant comme une lame, lui cingla le visage et le força à plisser des yeux douloureux et humides de larmes dues au froid. Résistant à l'envie de passer sa langue sur ses lèvres desséchées, ce qui aggraverait sans aucun doute la situation, il remonta le col de son manteau et rajusta son écharpe avant de répondre d'un ton sec :

« Ouais, peut-être bien, mais psychologiquement, ça me réchauffe ! Putain ! Je me les gèle, moi ! »

Un rire attendri, comme celui d'un parent face à un enfant récalcitrant au moment de se coucher, lui parvint au milieu des sifflements aigus du vent chargé de neige. Milo pesta à nouveau en chassant les flocons indésirables qui avaient réussi à se frayer un chemin dans ses multiples couches de vêtements.

« Mais quelle idée vraiment, de me nommer, moi, ambassadeur à Asgard ! Franchement, à quoi pensait Saga ? Toi, je veux bien, mais moi ? »

Deux mains surgirent soudain dans son champ de vision rétréci par le bonnet, l'écharpe et le blizzard. Deux mains belles et fines, élégantes et racées. Deux mains qu'il aimait à la folie quand elles se posaient sur son corps. Des mains à la force surprenante, capables de donner la mort en un instant, comme il l'avait déjà constaté.

Elles l'enlacèrent et l'attirèrent contre un corps bien dessiné, peu vêtu, derrière lui. Un corps à la température réconfortante dans ce froid mordant. Étrange comme tout était histoire de circonstances et de perception, car il trouvait toujours la température corporelle de Camus trop basse, habituellement. Mais là, dans ce vent hurlant, charriant des cristaux de neige coupants comme des couteaux, son corps était étonnamment chaud...

« Pourtant, je trouve que c'est une très bonne idée, moi. Regarde autour de toi ! Ce paysage qui s'ouvre et qui s'offre : tu ne le trouves pas magnifique ? »

La voix de Camus était douce, presque émue, comme il l'avait rarement entendue. Milo rouvrit ses yeux clairs et contempla l'horizon qu'une main blanche l'invitait à savourer. C'était vrai. Le paysage était beau. Austère et blanc, drapé de froid, certes, mais majestueux et impressionnant dans sa grandeur de terre battue par les éléments depuis des millénaires et pourtant toujours résistante à leurs coups. La mer dressait à la fois ses vagues noires ourlées d'écume et ses icebergs dérivant qui s'entrechoquaient. Des falaises de glace se découpaient sur la faible luminosité du jour sans fin et scintillaient malgré la tempête. Le vent faisait virevolter les flocons avec douceur ou brutalité selon son rythme irrégulier dans le gris ouaté d'un ciel clair-obscur permanent.

« Tu vois ? Ce n'est pas blanc. C'est plein de couleurs, de nuances, de variations... Comme cette symphonie au piano que je jouais quand j'étais petit, au château... »

Milo eut un puissant frisson qui ne devait pourtant rien à la température. La voix de Camus dans son oreille droite s'était assourdie et suspendue sur le souvenir évoqué. Et c'était cela qui le faisait frissonner ainsi. Jamais Camus n'avait parlé de sa famille. De l'avant Iéranissia. Comme s'il était né ce jour-là, sur ce ponton de bois qui s'avançait dans l'eau d'encre d'une mer démontée par l'orage.(1) Souvent, Milo avait demandé, questionné. Jamais il n'avait obtenu de réponse. Et là, dans ce paysage de bout du monde, où les éléments majestueux rendaient dérisoire et ridicule la présence humaine, les mots semblaient se libérer...

I Pano Volta / Ascension - Saint SeiyaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant