bonjour T,
je sais que je devrai commencer par des excuses, c’est ce que ferait la plupart des gens ; mais je ne suis pas comme les autres. alors je me contente, dans un premier temps, de te dire que je sais que je devrai m’excuser. tu mérites de voir la culpabilité dans mes mots, les remords et les regrets. je crois que tu mérites même de me refuser le pardon, de me délivrer la sentence d’une voix grave et froide.
peut-être qu’il est trop tôt pour que je revienne, trop tôt pour les explications — ou peut-être trop tard, je ne fais jamais les choses comme il faut. je sais que je t’ai perdu, je sais également que rien ne peut réparer les dégâts que j’ai laissé sur mon passage, en toi. j’espère que tu n’as pas souffert de mon départ, après ma fuite. je suis lâche, je suis méprisable, je suis un manipulateur. je me sers des mots pour qu’on m’aime mais je n’ai jamais appris à aimer en retour. alors, avec les mots comme alliés, je fais trembler les murs et me complais dans les ruines que je laisse.
la forteresse de ta personne, de ton intériorité n’aurait pas due être violée et détruite comme je l’ai pourtant fait sans honte aucune.je m’excuse, T. je m’excuse de ne pas avoir donné suite à nos nuits d’été. je m’excuse d’avoir fui, d’avoir anéanti tes défenses, étranglé tes joies et fait naître tes peines.
mais tu sais, notre histoire n’aurait jamais pu grandir ; elle était chienne, muselée et enchaînée à elle-même, privée d’échappatoire. je te demande pardon, T. et je te supplie de ne pas accepter ce pardon, ce pardon de lâche, de moins que rien.ne me pardonne pas.
j’étais avec N. quand on s’est rencontrés, j’étais avec N. quand on est devenus amis, j’étais avec N. quand on l’amour s’est emparé de nos corps. je n’ai pas su lui dire non, lui opposer la moindre résistance.
je n’ai jamais parlé de toi à N. ; il a demandé à te connaître — à travers moi — le jour où il m’a quitté. je ne t’ai jamais parlé de N. ; tu m’as demandé à le connaître — à travers moi — le jour où je t’ai quitté, où j’ai refusé d’accueillir l’amour à contre-coeur.
l’amour est un crève-cœur, je le crois. il ne nous a pas épargné ; je ne lui pardonnerai pas.j’espère que malgré tout, tu as aimé l’amour avec moi, avec l’inconnu que j’aurai toujours dû être pour toi. je me remémore parfois - souvent dans les moments de ma détestation profonde et intense — les nuits que nous passions sur ton canapé rouge, les fenêtres ouvertes. nous avons passé trois nuits ensemble, trois nuits qui ont détruit des vies, et pourtant je parviens à trouver du beau dans tout ça. je me souviens de ton petit studio comme si j’y avais vécu, de la chaleur étouffante qui y régnait, des oiseaux au petit matin, après la première nuit. je me souviens même quand tu m’as dit c’est mon ancien copain qui l’a prise en me voyant contempler une photo sur laquelle tu regardais fixement l’objectif, avec du bonheur dans les yeux. ensuite, tu as ajouté il est mort du sida il y a quasiment un an. ça fera un an le 27. je t’ai demandé si tu avais une photo de lui, je n’ai rien su dire d’autre, je n’étais plus capable, pendant un instant, des mots. je ne les possédais plus, c’était finalement eux qui se jouaient de moi, qui me noyaient dans l’absurdité du silence.
celui que tu avais aimé était beau. il avait un éclat dans le sourire que je n’avais jamais vu ailleurs. je crois que je n’ai jamais pu l’observer de nouveau. tu m’as parlé de lui pendant longtemps, après l’amour. une cigarette faisait l’aller retour entre tes lèvres et les miennes ; je ne fume pas, pourtant avec toi j’ai toujours fait comme si ce n’était pas le cas. je crois que je voulais te plaire, je voulais connaître ce que je n’avais pas encore connu. je voulais connaître ta souffrance, parce qu’elle était si différente de la mienne. avec toi, tout me semblait nouveau, neuf, comme si je n’avais encore rien vécu.
c’est le soir où tu m’as parlé de ton ancien amour que j’ai pris la décision de te quitter ; que je l’ai fait. je l’ai fait sur le pas de la porte, juste avant de partir, alors que tu voulais me donner un baiser. je sais que tu ne me croiras pas, que tu ne l’as jamais cru, mais je n’étais pas capable de remplacer celui que tu avais perdu. tu voulais que je sois comme un substitut, un lui autre, mais un lui quand même. mais, même sans l’avoir connu, je savais que j’étais pas en capacité d’être son semblable. et puis, tu l’aimais avec une telle force, une beauté si immense et intense que je ne voulais pas que tu perdes ne serait-ce qu’une poussière de cet amour. tu méritais mieux que moi, ce que je ne savais pas être.l’amour que j’avais en moi n’était qu’un inconnu pour toi, une ombre, quelque chose de luisant au fin fond de l’éphémère. j’espère que ta vie est plus jolie aujourd’hui, que tu rencontres des hommes qui savent honorer l’amour qui ornent tes yeux et le sourire de l’ancien amoureux.
j’ai rencontré un homme d’église, je le connais dans l’intime et dans l’amour alors je lui ai demandé de m’apprendre à croire aux miracles, aux jolies choses. ainsi, je peux croire en l’amour que tu reçois et puis celui qui ne te quittera jamais.
je te souhaite l’amour avec un inconnu qui te rappelle l’amoureux, avec un inconnu qui ne lui partage rien, avec un inconnu qui n’a jamais été un inconnu, avec toute cette profondeur de doute et d’ignorance dans le cœur.je te souhaite le soleil et les fleurs de l’inconnu, T.
et je suis désolé pour cette lettre, pour le soleil que j’ai fait taire et les fleurs que j’ai regardé fâner avec complaisance.
prends soin de toi,
L.
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l'amour est un inconnu
Short Storyde L. à l'amour des lettres pour résister à l'oubli suite de "ils se connaissent ; ainsi soit-il" avril > juin 2023