cher D,
ça fait longtemps, n’est-ce pas ?
je t’avoue que je ne sais pas réellement comment débuter cette lettre, ni même pourquoi je l’écris. enfin, j’ai décidé — une envie un peu tordue, un peu folle — d’écrire à chaque homme que j’ai aimé. pour être parfaitement honnête et transparent avec toi, je n’arrivais pas à savoir si je devais t’écrire, s’il le fallait, si j’en avais besoin. 
mais je suis là, une larme solitaire sur ma joue gauche alors je me dis qu’il est impératif que je pose des mots sur toi. peut-être que je dois le faire en respect pour N, pour ne pas réduire à néant ce que je lui ai fait.

toi et moi, D, on a pris une complaisance certaine dans la violence de nos corps. je crois que je n’ai jamais autant aimé faire l’amour qu’avec toi. faire l’amour sans être amoureux, je trouve ça étrange, c’est comme une sensation de picotement dans tout ce qu’il y a de vivant en moi. tu sais, quand je repense à toi, je nous vois, nus dans la douceur de ton lit. les draps bleus sont défaits, froissés, quasiment déchirés. je me souviens de l’amour plusieurs fois dans la nuit, comme si cela nous délivrait de la nécessité et de la froideur du sommeil. je sens encore le poids de ton corps sur le mien, étalé pour me tenir chaud, pour ne pas laisser filer le désir entre nous. je retrouve même parfois la sensation de nos peaux moites et collantes qui s’attirent inlassablement, de cet état à demi conscient du plaisir qui déborde. et puis ce sentiment foudroyant et immense que nos deux êtres ne veulent plus se quitter, un mirage de leur incapacité à le faire. 

pourtant, malgré cette passion démente qui nous consumait, nos nuits ne duraient jamais. je partais toujours retrouver N, espérant qu’il ne se noie pas dans l’odeur de désir que tu laissais partout sur moi. j’ai toujours eu peur qu’il découvre notre relation, qu’il comprenne le mensonge, qu’il aperçoive l’illusion. mais le mirage serait resté réalité si je ne lui avais pas tout dit, de mon plein gré. un soir, sans même m’en rendre compte, j’ai craqué. j’ai explosé comme un ballon de baudruche, en un éclair, sans que personne ne comprenne quoi que ce soit. je n’ai jamais compris grand chose quant à la façon dont j’aimais et pourquoi je le faisais. ce soir-là, j’ai laissé tomber une partie de moi, comme un rideau rouge qui s’ouvre, qui tombe enfin. N ne s’est même pas énervé, il m’a juste pris dans ses bras sans rien dire et m’a fait l’amour sans rien dire. je n’ai jamais compris N non plus.

ce que je veux te dire D, c’est que N ne m’a pas détesté. il a laissé l’amour faire le travail et moi je suis revenu à lui, baignant dans ma culpabilité et mes larmes. ce que je veux te dire c’est que je m’excuse pour ce soir-là ; pour le message que je t’ai envoyé. un message en guise d’adieu parce que je pense toujours mieux faire avec les mots, dans les au revoir d’éternité. aujourd’hui, je sais que j’aurai dû venir te voir, t’embrasser une dernière fois pour que tu sentes dans mon cœur que tout cela était impossible. je t’aurai consolé une première fois et tu m’aurais détesté parce que quand l’amour se donne à voir il apporte toujours la haine. je le sais parce que je me suis trop hais dans l’amour et les hommes avec qui j’ai partagé mon coeur m’ont hait encore plus fort. mais j’aurai préféré que tu ne vives pas ta haine seul, j’aurai voulu que tu puisses me frapper, me donner une gifle, m’insulter, me dire dégage de ma vie connard et puis de hurler vas-t-en je t’ai dit en voyant que je ne bougeais pas. j’aurai préféré que ça se passe comme cela, ça aurait été mieux pour toi, sans doute. 

mais je n’ai pas fait ça. après l’amour avec N, je l’ai regardé dormir et j’ai pensé à toi, à combien j’aurai aimé que tu le vois et que tu comprennes pourquoi je l’aimais tant. j’ai même pensé un instant rompre avec lui juste après vous avoir fait vous rencontrer ; vous vous seriez entendu à merveille. j’ai pensé qu’on aurait pu être en couple tous les trois, un trouple, quoi. j’ai pensé que j’étais la pire des enflures et que je méritais de crever. je me suis demandé mais pourquoi tu as fait ça ? je me suis dit que peut-être que je n’aimais pas N — aller voir ailleurs voulant dire qu’on n’est plus capable d’amour. et puis je l’ai regardé dormir à mes côtés et je me suis dit L, tu l’aimes à en crever alors j’ai pris mon téléphone portable et j’ai écrit ce que je t’ai écrit. je ne veux pas le réécrire ici, je ne veux plus de haine, ni de soi, ni de l’autre. alors je m’abstiens de la violence dont je sais faire preuve et te dis une chose, sans savoir si cela te fera du mal ou non : peut-être que si ça avait été toi et pas N de l’autre côté du lit cette nuit-là, tout aurait été différent. mais tu me détesterais sûrement pour quelque chose, tout le monde finit par me détester.

je suis désolé D. 

j’espère que tu as compris, ce soir-là, qu’il m’est plus facile de faire le mal que le bien. j’espère que tu as compris que j’aurai gâché ta vie. 
si tu veux tout savoir, aujourd’hui je ne suis plus avec N. j’ai touché à l’amour avec un autre, une fois de plus, et cette fois-ci il ne me l’a pas pardonné. je ne pense pas être pardonnable. je ne suis pas non plus avec mon deuxième amant, j’ai agi quasiment de la même façon avec lui. et je pense qu’il me déteste tout autant que toi et que N. aujourd’hui, je suis avec un homme que je ne veux pas perdre, je ne veux pas me détester à travers lui et la haine qu’il aura pour moi. alors, si j’écris cette lettre, c’est en partie pour me replonger dans notre histoire et dans mes erreurs afin de pouvoir tout lui raconter. cet homme s’appelle anton et j’espère ne connaître que l’amour avec lui. 
je suis désolé pour la haine et les blessures, D. 

j’espère qu’aujourd’hui ta vie est jolie et que tu connais la stabilité des amoureux, des amis. tu ne méritais pas un amant - du moins pas un amant comme moi. 
je te souhaite le meilleur, je te souhaite la fin de la détestation et le prolongement soudain de l’amour.
tendrement,
L. 

l'amour est un inconnu Où les histoires vivent. Découvrez maintenant