Aube tombale

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Ma main resta en suspens au dessus de ma feuille , blanche. Je n'avais encore rien écrit. Pourquoi? La question n'était pourtant pas si compliquée.... « Décrivez vous: votre personnalité, votre physique, votre famille, vos hobbys... » Pourtant aucun mots ne sortaient. Ma gorge se serra, la date de rendue était demain. Il fallait bien que j'écrive quelque chose. Le cœur lourd, je me mis à réfléchir. Décrire ma personnalité ? Morne, sans-intérêt, affreuse, fade, insipide. Ils étaient les seuls mots qui me venaient... Décrire mon physique? Je me leva et m'observa dans la glace. Une vision immonde. Un corps squelettique, une allure fantomatique, des jambes flageolantes, un buste maigre et fragile, des bras flasques, un visage abject...Je ressemblais à un croquis raturé jeté à la poubelle. Je soupira , les larmes aux yeux , et me rassis. Devrais-je plutôt commencer par décrire ma famille? Non. Certainement pas. Alors mes hobbys? Non plus. Je n'aurais rien à écrire.
Après de longues minutes d'indécision, une pensée me traversa l'esprit. Et si j'étais honnête avec moi-même? Et si , pour une fois, j'écrivais la vérité , sans illusion de bonheur ni mensonges ? Je pris une lourde inspiration et, débuta mon texte :

« Erreur de la nature. Voilà ce que je suis. Un être disgracieux, ignoble qui a vu le jour , par erreur. Un fantôme qui n'attend que de mourir pour de bon. Une âme égarée. »

Mes lèvres se pincèrent. Je continua :

« Je n'aurais tout simplement jamais dû exister. Je suis un accident. Un enfant non voulu. Un enfant inutile , qui n'est même pas capable d'avaler la moindre nourriture sans se faire vomir après coup , qui n'est pas aussi intelligent que sa sœur si doué pour les études, qui a pour seul talent sa faiblesse. Oui, je suis cet enfant. Un accident. Ma seule utilité en ce monde est de permettre à ma mère ,ma sœur, et mon père de se défouler en me battant. »

Des larmes coulaient sur la feuille. Tant pis.

«Vous voulez savoir pourquoi suis-je toujours absente au cours de piscine? Pour éviter que l'on voit mes marques. Ces marques qui s'aggravent chaque jour, à chaque coup. Ces marques gravées sur ma peau , à jamais. Ces marques si laides qui me suivront toute ma vie. Ces marques que je cache. »

Je ne voulais plus m'arrêter. Mon cœur allait exploser pourtant, je continuai.

« Mes amis n'ont jamais rien vu. Ni eux ni personne, d'ailleurs. Avec le temps , j'ai su apprendre à le masquer derrière de faux-sourires , des pulls larges, des *ça va * qui dissimulaient ma souffrance , des rires qui déguisaient ma tristesse, des * j'ai des courbatures * pour expliquer ma douleur au contact d'autrui, des *j'ai déjà mangé * pour justifier mon absence au repas... Je m'étais construite une façade , une vitre qui ne laissait pas paraître mes yeux qui hurlaient *à l'aide* . »

La gorge sèche, j'écrivais. J'écrivais ma souffrance , mon masque , ma peine.... Toutes ces choses que je n'avais jamais dites, à jamais enfermer en moi. Je me libérais.

« Je suis faible. Emmurée dans mon silence, je me consume de l'intérieur. »

Je livrait tout. Mon enfance, ma famille, mon entourage, ma vie écolière, mes peurs, mon chagrin, mes habitudes, mes cicatrices, ma douleur. Tout.
Je m'abandonnais dans l'écriture.

« Voici la vie d'un être méprisable. Voici moi. »

Je posa mon stylo sur le sol, lentement. Je repris mon souffle et, le cœur battant, relue mon texte. Un sourire amer se dessina sur mon visage. Le texte était sinistre et triste, il me représentais bien.
Alors que l'aube se révélais à l'horizon, je sorti un briquet de mon tiroir et, à la lueur des premiers rayon du soleil, brûla calmement mes confessions, mon histoire pour toujours tue en moi.

Textes tristesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant