Chapitre 2 - Leyah

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Mon excitation est à son comble.

Le soleil me réchauffe les joues avec douceur, et pas un seul instant je ne regrette mes choix. Même si, tandis que je sillonne une des allées du campus en compagnie de Yuri, les appels de ma mère ne cessent de faire clignoter l’écran de mon téléphone. Je sais qu’elle s’inquiète, qu’elle se demande si je vais à l’église, qu’elle me suppliera de nouveau de changer d’avis et de revenir à la maison, quitte à gaspiller une année de ma vie. Une année que je pourrais mettre au service de la communauté, m’a-t-elle dit. Ou, comme l’a fait Sarah, partir en mission pour me rapprocher du Seigneur. Oui, pour embrigader d’autres membres, plutôt ! Ma poitrine se comprime. Je la rappellerai plus tard pour la rassurer. Je sais que mes parents m’en veulent. Personne ne comprend pourquoi je n’ai pas postulé à l’université mormone Brigham-Young si réputée, à quelques miles de chez moi. Je crois que jusqu’au jour où j’ai commencé à remplir mon sac, ils ne me prenaient pas au sérieux. Ils étaient plus alarmés par ce qu’ils considèrent comme une crise d’adolescence. D’aussi loin que je me souvienne, il n’y a pas un domaine scolaire dans lequel je n’ai pas excellé. Ma mère a dédié sa vie à nous faire cours à domicile, car mes parents accordent une importance capitale à l’éducation. J’ai mis toutes les chances de mon côté en additionnant les activités pour obtenir une bourse universitaire. Le mot d’ordre de mon enfance, de mon adolescence, a été le perfectionnisme, et malgré la fortune de papa, j’ai su très tôt que je voulais être indépendante. Si je tire un bénéfice de toute la souffrance que je me suis infligée à différents niveaux, cette mentalité m’a valu de pouvoir m’émanciper contre son avis, et d’intégrer High Hills University, cet établissement juste génialissime. Les allées sont verdoyantes, le rouge brique des immenses bâtiments est magnifiquement rehaussé par la lumière du soleil, qui – paraît-il – nous gratifie de ses rayons toute l’année.

Avant que débutent les cours du premier quadrimestre, les clubs ont monté de multiples stands pour recruter des membres. Pour ma part, je me suis inscrite chez les bénévoles. J’ai beau vouloir changer mes habitudes, aider mon prochain m’a toujours procuré satisfaction, c’est donc l’occasion rêvée.

J’ai aperçu une association de mormons sur mon chemin. Bien sûr, je les ai évités comme s’ils avaient la peste bubonique.

Avec ma colocataire, la température est au beau fixe. Alors, oui, elle est aussi introvertie que nonchalante quand je n’ai aucun problème à aller vers les autres et que les choses me tiennent vite à cœur, mais malgré nos différences radicales, on a déjà tissé un début de complicité. Je l’adore. À dix-huit ans, elle fait tellement mature qu’elle me rappelle Aaron, mon frère de deux ans mon aîné. Ses parents sont nés à Tokyo. Descendants de riches familles nippones, ils ont gravi les échelons de la société à New York, et désapprouvent ses choix aussi bien que son allure. Ça nous fait presque un point commun. Étant donné le contraste entre nos styles, on doit former un drôle de duo sur le campus. Mais à bien y regarder, ici, la diversité est maîtresse, ce qui me met plutôt à l’aise.

Comme je suis encore en phase de découverte, Yuri a décidé de me prendre sous son aile. Si bien qu’elle tient à me présenter son âme sœur que nous rejoignons au stand de son groupe de rock. Les Thunders ont perdu deux membres qui ont quitté l’université, raison pour laquelle ils sont eux aussi en opération embauche. Nous approchons des trois garçons derrière leur table, accompagnés d’une immense pancarte :

« LES THUNDERS RECRUTENT : 
CHANTEUR – BATTEUR ».

Je ne doute pas une seconde de l’identité du copain de Yuri. Mêmes origines, même dégaine. Ses cheveux noirs sont coiffés en arrière, une unique mèche en travers de son visage parsemé de piercings. Il porte une veste en cuir à clous et un jean moulant sur des baskets abîmées. Longiligne, il doit bien dépasser le mètre quatre-vingt-dix. Mais ça ne gêne pas la gothique qui se pend à son cou pour fourrer sa langue dans sa bouche avec une passion qui m’échauffe les joues. Ses amis ricanent en roulant des yeux, alors que je suis incapable de dévier les miens de leur enchevêtrement buccal.

Lexmo (High Hills University) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant