Retrouvailles
La soirée est déjà bien entamée lorsque Pensée arrive chez Camélia. À l'instant où elle pousse la porte, elle regrette d'être venue. La musique pulse, il fait trop chaud, et la présence de la foule la frappe de plein fouet. Quelle ironie, tout ce monde, alors même que Camélia a toujours eu peur des autres, toujours eu peur de leur jugement, auquel elle accordait trop d'importance... Pensée se dit qu'elle devrait être heureuse que son amie ait finalement pu se lier avec des gens, mais c'est plus fort qu'elle, elle ne peut pas s'empêcher d'être un peu jalouse.
Il y a trop de bruit, elle a mal à la tête. Elle va partir, ce sera mieux pour tout le monde. Inconsciemment, elle pense peut-être se protéger elle-même, se protéger de la douleur des souvenirs. Elle craint de revoir Camélia après toutes ces années. Elle recule déjà, cherche de la main la poignée de la porte... et c'est là qu'elle l'aperçoit.
Elle n'a pas changé. Ses cheveux, bien que plus courts, ont toujours ce reflet d'or, ces boucles légères. Elle a toujours ce maintien altier. Mais ce sont ses yeux qui bouleversent Pensée par-dessus tout. Ses yeux bleu clair, lumineux, si profonds qu'on pourrait s'y noyer. Et grands, si grands, et si doux... Pensée a l'impression d'être transportée en arrière, à cette époque insouciante ou Camélia et elle étaient encore proches. La seule différence, ce sont les cernes violets qui bordent ces yeux-lacs. Larges et foncés, comme des hématomes. Mais même eux ne parviennent pas à altérer la beauté de Camélia. Au contraire, ils lui donnent un air plus mûr, plus sûr, sans pour autant dissimuler la douceur de son visage.
Pensée sent son cœur s'emballer, comme il ne l'a pas fait depuis bien longtemps. Toute idée de fuite l'a abandonnée, elle sait qu'elle restera. Son regard sombre est comme aimanté aux iris pâles de la femme qui se tient devant elle, reflet de la jeune fille qu'elle a autrefois connue. Elle a l'impression d'avoir été perdue dans un désert pendant tout ce temps, sans boire, et de sentir soudain une goutte d'eau fraîche sur sa langue. Et comme pour s'y ajouter et étancher enfin sa soif, la voix de Camélia cascade jusqu'à elle.
― Pensée ? Tu es venue ! fait-elle d'un air empreint de surprise mais également d'une joie perceptible.
Un sourire timide apparaît sur les lèvres de Pensée. Elle reconnaîtrait ce timbre entre mille. Puis son cœur se serre quand elle s'aperçoit qu'elle l'entendra sans doute pour la dernière fois de sa vie lors de cette soirée. Ça lui fait drôle de penser à ça. Elle ne réalise toujours pas pleinement. Cette fois-ci, ce sera vraiment une fin.
Ses yeux la piquent un peu, elle sent sa gorge se nouer, mais elle se ressaisit : Camélia est encore là, devant elle, et elle se doit d'en profiter.Alors, d'un pas hésitant, elle s'approche. Leurs deux corps entrent en contact avec une sorte de maladresse, comme deux pièces de fer qui ne s'emboîtent pas parfaitement à cause de la rouille qui les a recouvertes, mais ils retrouvent vite leur place, leurs bras entourent l'autre, leurs têtes se nichent sur leurs épaules, comme si rien n'avait changé.
La pulsation de la musique semble s'atténuer - ou peut-être est-ce simplement la chanson qui a changé.
Et en cet instant, blottie dans les bras de Camélia, Pensée a l'impression d'être enfin de retour chez elle.
Rire pour ne pas pleurer
Quand Pensée pénètre dans le salon de Camélia, elle est surprise par l'ambiance qui y règne. D'un côté, un groupe de gens danse sur la musique, avec l'air de s'amuser en dépit de la gravité du moment. Et de l'autre sont assises quelques personnes isolées, un air triste plaqué sur le visage. Dès qu'ils la voient arriver, leur regards emplis de pitié et de larmes se tournent vers Camélia. Celle-ci se détourne, son sourire se fait plus pâle, plus forcé. Pensée sent que ces individus, avec leur attitude morose et défaitiste, assombrissent son humeur. Elle voit pourtant bien que c'est plus fort qu'eux ; l'idée tragique que c'est l'ultime soirée qu'ils passent avec Camélia prime sur leur envie de profiter une dernière fois.
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𝙻𝚎 𝚙𝚘𝚒𝚍𝚜 𝚍𝚎𝚜 𝚕𝚊𝚛𝚖𝚎𝚜 ||ⁿᵒᵘᵛᵉˡˡᵉ
Romance❝[...] cette joie un peu trop bruyante, un peu trop exubérante, qui sonne un peu faux, propre à ce genre de moments dans lesquels on rit pour ne pas pleurer, pour oublier le poids des larmes derrière nos yeux...❞ ・・・ Un amour de jeunesse, Une ultime...