Chapitre 17 : Délivrance

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     Quelques années après son arrivée à Mélissandre, Pomme avait trouvé un vieux livre qui racontait l'histoire d'une cité légendaire : Délivrance. Edgard lui avait raconté qu'elle était le berceau des maîtres des ombres et de tous les magiciens. C'était à cet endroit, disait-on, que les dieux avaient offerts la magie à l'humanité, un lieu d'échange entre mortels et divinités.

     Toujours selon la légende, la cité avait été engloutie par la terre après que les dieux aient jugé dangereux que les Hommes appréhendent si bien la magie. Les voir se rapprocher d'un peu trop près du divin les avaient convaincus d'agir en conséquence. La cité avait donc disparue avec tout son savoir et ne devint, avec le temps, plus que fable et conte de fée.

     Aujourd'hui cependant, Pomme ne pouvait le nier, ce qu'elle voyait n'avait rien d'un conte de fée, c'était bien réel.

     Après plusieurs heures de marche à travers les ombres, Neven et elle étaient parvenu à l'orée d'une clairière. Cette dernière était bordée par la forêt tandis que, en son centre, se dressait un château partiellement fiché dans la roche d'une falaise qui surplombait le tout. À moitié enseveli dans la terre, seule l'une de ses tours perçait l'horizon, à peine plus haute que la falaise. Comme une grande partie du dernier étage qu'on discernait à peine derrière les broussailles, la tour était couverte de plantes grimpantes, la dissimulant presque entièrement. Plus qu'à un légendaire palais antique, cette étrange construction rappelait à Pomme les contes qu'Edgard collectionnait sur de belles dames magiciennes qu'on appelait des fées et qui, selon des mythes encore plus anciens, auraient un jour foulé la terre des Hommes.

     En outre, Pomme imaginait sans mal le reste du palais caché sous la terre, merveille invisible camouflée par la nature. Si les croquis qu'elle avait aperçus dans les livres d'Edgard étaient un minimum ressemblant à la réalité, alors ce qu'ils voyaient à cet instant n'étaient qu'une infime partie de Délivrance, tout juste ses plus hauts sommets.

     Neven lui jeta un regard, curieux de découvrir l'expression de la jeune femme. À la vérité, Pomme ne savait pas trop quoi en penser. Cela ressemblait bien à un château de légende, son architecture faisait échos à celle décrite dans les livres d'histoire – pour ce qu'elle en voyait du moins – et le temps ne l'avait certainement pas épargné. Pourtant... il lui paraissait si irréel qu'une telle cité puisse réellement exister que Pomme en resta muette. Et lorsque Neven s'avança dans la clairière pour rejoindre l'édifice, elle lui emboita le pas sans mot dire.

     Le garçon la conduisit au seul balcon qui perçait la terre, à peine visible sous la végétation luxuriante qui couvrait les ruines. Des buissons d'hortensias pullulaient tout autour de l'entrée et même sur la toiture, leurs branches s'étendant jusqu'à camoufler les vieilles portes de bois qu'ils traversèrent.

     De l'autre côté, Pomme découvrit un grand salon au mobilier d'autan couvert de mousse que de poussière. Le temps y semblait comme suspendu, le grand lustre de cristal parfaitement immobile au-dessus de leur tête. En regardant autour d'elle, Pomme songea que c'était un miracle que des champignons n'aient pas encore recouvert la totalité des tapisseries de la pièce tant la nature semblait impatiente à pénétrer à l'intérieur pour tout recouvrir. Des fissures aux murs et au plafond laissaient déjà transparaître de petites racines tandis que des rideaux de lierres couvraient presque entièrement les fenêtres.

     Pomme fit la moue, si tout le palais était ainsi, alors elle n'osait imaginer quelles têtes les attendaient. Peut-être était-elle simplement tombé sur une bande de fous furieux, des illuminés à l'esprit tarabiscoté perdu dans un lointain passé qu'ils croyaient réel. Pomme en avait déjà croisé, des déments perdus autant dans le temps que dans leur propre monde. Elle n'aurait pas été surprise d'en croiser ici et se préparait déjà à prendre ses jambes à son cou. Si elle devait fuir à l'autre bout du monde le Baron, elle le ferait. Quitte à choisir entre la peste et le choléra, elle préférait encore la fuite. Elle avait lu dans les livres d'Edgard qu'il existait d'autres pays plus au sud et même de l'autre côté de la mer qui bordait Astoria à l'exact opposé de Mildred. Plus elle avançait dans ce vieux salon décrépit, plus il lui prenait l'idée de laisser là Neven et de disparaître dans les ombres vers ces terres inconnues.

Celle qui marchait dans les ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant