Dans son lit Pomme n'arrêtait pas de penser à ce que l'inconnu avait dit, à ce nom qui lui semblait si familier, à cet autre qui ne lui appartenait pas et à cette phrase qui la hantait sans qu'elle ne comprenne comment ni pourquoi. Où l'avait-elle entendu ? À qui appartenait cette voix ?
Cette nuit-là, Pomme rêva à nouveau de sa mère, de cette femme qui lui ressemble tant. Mais cette fois, tout était différent, plus net.
Pomme marchait silencieusement sur la plage, longue étendue de sable humide léché par cette mer lugubre. Les vagues qui s'étendaient semblaient comme faites de ténèbres, repoussant leur écume éclatante toujours plus loin sur la berge. Un vent froid soufflait, Pomme le sentait à peine. Elle se sentait comme une ombre, légère, ailleurs. Elle ne comprenait pas.
Puis elle apparut. Cachée sous sa cape, Rosalind sortit des ténèbres au pied de la falaise. Elle regardait nerveusement tout autour d'elle, avançant rapidement jusqu'à l'océan où elle se laissa tomber à genoux. Pomme la vit déposer son enfant dans le sable, la petite la regardant silencieusement de ses yeux noirs. Mes yeux noirs, songea Pomme en s'approchant.
Rosalind se mit alors à tracer des signes étranges tout autour de la petite, marmonnant dans une langue qu'elle ne comprit pas mais qui lui sembla diablement familière. L'air ondula au-dessus de l'enfant jusqu'à former un portail aux couleurs irisées. En le voyant, Pomme eut des frissons. Le portail... Son regard coula jusqu'à Rosalind qui se pencha sur sa fille. Elle retira son pendentif, le même que Pomme portait depuis toujours et le plaça autour du cou de de l'enfant.
– Là où je t'envoie, tu seras en sûreté, murmura-t-elle des trémolos dans la voix. Grandit et reviens-nous un jour.
Pomme sentit son cœur s'emballer. Elle ne comprenait pas. Mais la femme ne semblait pas le remarquer. Elle persistait à regarder son enfant de ce regard qui lui semblait à la fois si familier, si étranger.
Puis, tout doucement, Rosalind prit la petite Pomme dans ses bras et l'abandonna au portail. Ce dernier ondula autour du corps de l'enfant. Pomme grimaça. Il y avait quelque chose... un bruit qui lui parvenait, désagréable. Il bourdonnait à ses oreilles, elle se souvenait de ce son, de cette sensation.
– Non... non, non, non ! Ne fais pas ça ! implora Pomme en se précipitant vers elle. Ne l'abandonne pas ! Ne m'abandonne pas !
– Adieu, Avalon...
Un sourire résigné aux lèvres, Rosalind regarda sa fille disparaître à travail le portail. Pomme n'eut pas même le temps d'effleurer la cape de sa mère que ce dernier se referma et l'obscurité l'engloutit.
Pomme se réveilla en sursaut.
Les ombres étaient silencieuses ce soir, étrangement silencieuse même alors que le ciel commençait à se couvrir. Assise dans ses couvertures, Pomme regarda son pendentif, admira son éclat discret. Le rubis à son centre semblait pulser, comme répondant à son souvenir. Souvenir... car ce n'était pas un rêve, bien trop précis et ce regard trop familier. Les larmes lui montèrent, elle serra plus fort son médaillon dans son poing.
– Maman...
Le jour suivant, Pomme semblait ailleurs. Les images de la nuit la hantaient jusque dans le calme des archives où elle ne cessait de soupirer.
Pomme se posait de plus en plus de questions. Elle hésitait même à retrouver l'inconnu dans cette Cour des Murmures où il lui avait donné rendez-vous, sans doute encore un des nombreux passages secrets de Mélissandre. Mais au fond, elle n'était pas sûre de vouloir le savoir. La façon dont il avait prononcé ce nom... Avalon. Il y avait bien trop d'espoir dans sa voix pour que cette Avalon ne soit qu'une amie ou un membre de sa famille – si ressemblance entre eux il y avait eu. Mais non. Et Pomme sentait que si elle le retrouvait, elle irait au-devant d'une catastrophe monumentale, plus grande encore que tout ce qu'elle avait connu et elle n'en avait pas la moindre envie. Pomme voulait vivre calmement et ses questions étaient en train de la rendre folle.
Edgard remarqua tout de suite son changement d'humeur. Il l'observait depuis une bonne heure maintenant, grimaçant à chacun de ses longs soupires comme si ces derniers lui écorchaient les oreilles.
– Qu'est-ce qui te prends, bon sang ? demanda-t-il d'un ton bourru. À force de souffler tu vas finir par me foutre le bazar. Tu te prends pour une baleine ou quoi ?
Pomme eut un sourire, touchée par son attention. D'autres trouveraient le vieux bonhomme insensible, mais elle le voyait maladroit, troublé aussi, sans doute, par son humeur morose. Edgard avait toujours connu Pomme d'humeur égale. Et même quand elle n'allait pas bien, car tout le monde avait ses jours avec et ses jours sans, elle restait d'une discrétion à tout épreuve au travail.
Aujourd'hui pourtant, elle semblait déconcentrée, ailleurs et, pire que tout pour le vieil homme, elle était bruyante. Jamais Pomme n'était bruyante. Elle était même si discrète qu'il arrivait parfois au vieil archiviste d'oublier sa présence jusqu'à l'entendre lui dire bonsoir avant de partir ou ranger un quelconque livre à sa place.
– Ce n'est rien, j'ai juste très mal dormi cette nuit.
Après un silence, elle ajouta, le regard perdu dans le vague :
– Je crois... Je crois que mon passé n'en a pas terminé avec moi. Et le voir remonter à la surface...
Pomme s'assombrit, croisant les bras sur sa poitrine comme pour se protéger des images qui lui revenaient.
– Tu n'es pas certaine de vouloir en connaître tous les détails, comprit le vieil homme.
Pomme pinça les lèvres et opina avant de poser un regard incertain sur lui.
– Je ne sais pas trop quoi faire, avoua-t-elle mal à l'aise.
Edgard lissa sa moustache avant de grogner. Il savait qu'elle était orpheline, il l'avait compris dès leur première rencontre dans cette ruelle déserte il y a des années. Mais malgré sa gentillesse et son soutiens, Pomme n'avait jamais eu la force de lui raconter ce qu'elle avait vécu, les horreurs qu'elle avait vu et subi. Et bien qu'elle eut gardé le silence toutes ces années, cachant admirablement bien ses cicatrices physiques comme psychologiques, il n'était pas bien compliqué pour le vieil homme de voir comme elle avait souffert. Sûrement même plus qu'une grande partie des habitants de cette ville, songeait-il souvent.
– Je ne sais pas grand-chose de ton passé, dit-il finalement. Et je comprends parfaitement qu'il y a certaines choses dont tu ne veuilles pas parler mais...
Il soupira, passant une main dans ses cheveux grisonnants.
– Si ça doit te revenir, ça reviendra. En revanche, si c'est trop difficile ou trop douloureux à affronter, ne le garde pas pour toi.
Son regard se fit soudain plus sombre, plus lointain.
– Crois-moi gamine, il n'y a rien de plus nocif que de refouler ce que l'on ressent.
Pomme se demanda un instant ce qui pouvait ronger cet homme bougon et solitaire. Qu'avait-il passé tant d'années à refouler au point de faire fuir quiconque tente de l'approcher ? Finalement, elle eut un sourire, heureuse de l'avoir près d'elle.
– Merci Edgard.
Le vieil homme hocha de la tête et un mince sourire ébaucha ses lèvres, le premier qu'elle n'eut jamais vu.
La journée se termina rapidement et Pomme finit par dire au revoir à Edgard, lui souhaitant une bonne soirée avant de retrouver son appartement. Plus apaisée, elle décida de laisser Neven où il était. Elle ne voulait pas se mêler de cette histoire où elle ne se sentait pas même concernée. Peu lui importait Rosalind et ce qu'elle représentait, sa vie était ici à présent, auprès d'Edgard dans cette minuscule boutique et sa capitale au mille et un secrets. Elle n'avait pas besoin de plus et n'y aspirait guère.
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Celle qui marchait dans les ombres
FantasiPomme a toujours su qu'elle était différente, et sa différence, elle a toujours pris grand soin de la cacher, car pour survivre dans les terres de Mildred, mieux vaut se faire discret. Alors quand elle parvient enfin à s'en échapper, Pomme croit avo...