#16 🌖🐾🐺

335 37 0
                                    

   T/P est restée longtemps au chevet du louveteau mutique. Sa patte est soignée, et couverte d'un bandage, elle est endormie dans un lit confortable. Sa respiration est calme. T/P caresse régulièrement sa tête en prenant soin de passer derrière ses oreilles sans les bouger. Chan lui a expliqué que certains lycanthropes préféraient vivre sous leur forme lupine. Cette lycanthrope n'avait vécu qu'avec des loups jusqu'ici, être rejetée puis devoir s'intégrer à une société humaine devait être difficile. Alors T/P ne peut s'empêcher d'en vouloir à ces humains qui s'en sont pris à elle. Elle reste assise, contemplant le petit museau qui s'agite en fonction des rêves. Cette robe aux reflets argentés lui rappelle sa mère lorsqu'elle pouvait encore prendre la forme d'une louve. Rencontrer ce louveteau qui ressemblait tellement à sa mère lui a rappelé qu'elle devait être courageuse elle aussi. Le cœur serré, T/P ouvre le carnet confié par la notaire.

   Elle déplie délicatement la première page pliée par les années et découvre une photo abîmée, jaunie par les années. C'est sa mère. Elle la reconnaît immédiatement, son visage, son sourire, tout lui revient en mémoire. Mais sa mère n'est pas seule. Elle est entourée par un groupe. Des hommes et des femmes, sans doute tous des lycanthropes. Certains ont des oreilles de loups. Ils posent devant l'entrée d'une forêt profonde. En tournant la page, T/P découvre le début d'un journal manuscrit. Elle reconnaît l'écriture de sa mère mais le texte n'est pas daté.

« Ma famille – ma meute – me manque. Ils n'ont pas accepté mon départ, même Yeji ne m'envoie plus de courrier. Et ils refusent toujours les technologies donc je pense que je n'aurai jamais ni messages, ni mails, ni contacts d'eux sur les réseaux sociaux. Ils me manquent mais je dois accepter cette situation, cette nouvelle vie qui est la mienne et qui reste mon choix. Vivre parmi les humains est un apprentissage de tous les jours. Ils n'aiment pas me voir sous ma forme lupine mais il semble que ce soit de la peur plus que du mépris. Ils ne comprennent pas et ce manque de savoir les effraient. Mais ils refusent aussi d'apprendre et de communiquer. J'ignore s'il s'agit d'un manque d'intelligence ou d'empathie. On me dit que je suis l'ambassadrice de mon espèce, que grâce à moi les choses vont s'améliorer entre nos deux espèces. La vérité c'est que le docteur est distant. J'ai parfois l'impression que les humains considèrent les femelles – femmes humaines ? –comme des ressources et qu'ils essaient d'appliquer ce principe à ma personnalité. »

T/P repose un instant le carnet sur ses genoux. Elle n'avait jamais su que sa mère vivait avec une meute lycanthrope autrefois. Mais surtout ... encore des mensonges ... Cette rencontre avec son père avait l'air calculée, sa mère parle de choix, de servir une cause. C'est étrange. Est-ce qu'il était prévu que ses deux parents fassent un enfant hybride ? T/P feuillette le journal, il parle de longues journées d'ennuis, d'apprentissage d'une nouvelle vie dans une société inconnue. Et là, elle cache ses lèvres en découvrant une nouvelle vérité.

« Cette nuit passée avec le docteur a donné les résultats escomptés pour le projet. Je suis enceinte. J'ai peur, je n'aime pas l'idée qu'un être vivant, une créature, vive dans mon corps. Je ne suis qu'une expérimentation, comme cet enfant. Nous ne sommes finalement que des numéros. Et ce numéro qui s'agite dans mon ventre a un anonymat angoissant pour moi. La maternité humaine m'a l'air complexe et je n'ai pas le droit de faire ce que je veux. Ils refusent que je reprenne ma forme lupine durant les 9 mois que je devrais endurer. Les louves aiment leur petit, pourquoi le mien me révulse autant ? L'on a commencé à me donner des gélules qui sont censées assurer le bien-être de cette chose. »

Blessée, T/P soupire mais poursuit sa lecture sur les pages suivantes. La grossesse fut mal vécue par sa mère, elle ne parle jamais de son père autrement que comme étant « le docteur ». Il n'y a pas d'amour dans ces mots.

« Jour de joie. Grey était présent, j'ai passé l'après-midi à me rappeler ce que c'était que d'être louve. Ces mois étaient un cauchemars mais tout est derrière moi. J'ai senti la trace d'une griffe, quelque chose de dur, peut-être les premières griffes de mon enfant. Depuis je me sens plus proche de cette petite – les humains l'ont genrée au féminin mais je n'ai pas compris comment ils l'avaient compris. Je caresse souvent mon ventre en lui parlant de ma meute. Grey est un adorable louveteau, très naïf et qui suit le docteur partout où il va. Il s'assure de ne jamais montrer ses oreilles lupines en public et imite les humains en cachant ses canines. J'essaie de lui expliquer qu'il n'a pas à avoir honte de sa lycanthropie, qu'il est très bien tel qu'il est. »

Wolfgang : refuge pour lycanthropes errants - Bang ChanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant