Chapitre 1

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11 mai 1889 – Sainte Pazanne près de Nantes

« ...Les choses sont ainsi. Il faut te faire oublier, mon garçon ! Je me charge d'arranger les choses et je te tiens au courant dès que possible. Au moins, tu pourras te reposer chez tes oncles et te remplumer un peu. Je compte sur toi pour avoir une conduite exemplaire.

Ta maman qui t'aime, Marie de Sainte Foulques

Et qui t'envoie en enfer, je complète in petto.

Je replie la lettre, dans laquelle elle me détaille les consignes de mon parcours, qui a commencé par cet incroyable trajet en chemin de fer, si moderne. Je viens de rejoindre Nantes en moins de huit heures, contre quatre jours de diligence avant. Dire que ce matin j'étais à Paris !

Mon frère Paul nous a conduit à la gare ce matin. J'ai détesté quand il m'a serré dans ses bras, comme si j'étais souffrant. Il sera désormais le seul De Saint Foulque, le patronyme familial doit rester irréprochable, puisqu'il est l'image de notre banque.

Il a fait modifier les registres d'état civil pour que je reprenne le nom de jeune fille de maman : Millezais. J'ai eu le temps de lire et relire mon nouveau livret de famille, résigné, essayant de m'habituer à cette nouveauté.

Le sifflement du chef de gare nous invite à quitter le train. En chassant les fumées épaisses de la machine à vapeur, un peu groggy par le long voyage, je découvre la campagne profonde. Les odeurs m'assaillent dont celle bien agréable de l'air iodé.

La place de Nantes est envahie par une foule de maraichers et de marins, des badauds et des soldats. Les calèches et les chevaux soulèvent la poussière et tout est vieillot ici.

Les gens sont habillés de façons démodées, les femmes dans des grandes robes de draps bleus ou noirs, avec des coiffes bretonnes et les hommes dans des chemises et des pantalons informes.

Des charrettes brinquebalantes transportent le poisson, d'autres le sel et le charbon.

Plusieurs diligences attendent les passagers, pour les conduire dans les environs.

Le chef de gare, prévenant, m'indique le cocher de la diligence pour Noirmoutier. Il est vêtu de guenille et dissimulé derrière un large chapeau de paille, m'admire un trop long moment, avant de me demander où je compte me rendre. Cependant, depuis que j'ai mis en péril mon avenir et ma place dans mon école, par mes bêtises, je n'ai plus aucune envie de plaire aux hommes.

─ Nous partirons demain matin, mon beau. Prends une chambre dans le relais de poste, nous partirons demain matin aux aurores. Il me désigne du menton l'auberge vers laquelle se dirigent d'autres voyageurs. Je suis le mouvement, évitant la boue et les animaux errants, chiens, chèvres et cochons qui ramassent les détritus sur les routes.

La taverne propose des galettes et de la soupe au lard, c'est tellement campagnard et reculé, bien loin des cafés élégants de Paris.

Les gens me fixent, alors que je suis habillé à la dernière mode, avec un costume étroit de velours bleu nuit sur un gilet rouge et mon col montant cassé. Mon allure détonne, c'est visiblement trop pour ici.

Je soupire malheureux, dire que tout cela m'arrive par la faute d'un goujat indigne. Rien que pour m'éloigner de lui, je suis content d'arriver en ces lieux reculés.

Charles le lâche ! Le plus rageant, c'est qu'il ne me plaisait pas vraiment, alors pourquoi ai-je cédé à ses avances ? Le gardien de l'école nous a surpris alors que nous nous embrassions.

Nous aurions pu prétexter le stress, un quiproquo ou même lui graisser la patte. Charles m'a repoussé et a prétendu que je m'étais jeté sur lui.

Ce qui caractérise le plus mes professeurs du lycée Louis le Grand, c'est leur frilosité vis-à-vis des scandales. Ils étaient complétement d'accord avec ma mère pour étouffer l'affaire.

Le journal perdu et retrouvé de Sainte PazanneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant