PROLOGUE

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« Ne vous y trompez pas : on ne se moque pas de Dieu. Ce qu'un homme aura semé, il le moissonnera aussi. » (Épîtres aux Galates 6.7)

C'est un extrait biblique qui passe en boucle dans mon esprit depuis que je suis ici. Qu'ai-je fait au Seigneur pour provoquer sa colère ? C'est la question que je me poserais si j'étais croyante. Mon père serait fier de moi d'avoir retenu une phrase aussi longue de son précieux bouquin. Un ricanement sarcastique résonne dans la pièce et je mets plusieurs secondes avant de comprendre qu'il sort de ma propre bouche.

Soudain, un relent âcre s'insinue dans mes narines, me rappelant l'endroit où je me trouve. Sans pouvoir l'en empêcher, je hume cette odeur nauséabonde qui me déclenche des haut-le-cœur... Seulement, je n'ai plus rien à vomir.

Je transpire. J'ai chaud.

Parfois, j'essaye de réfléchir au temps qui passe. Suis-je là depuis des jours, des semaines ou des mois ? Impossible de le savoir ; ici, la notion de durée n'existe plus, je suis juste enfermée dans une boucle temporelle.

Je suis affamée. Mon ventre gargouille de plus en plus fort, espérant combler le vide. Le géant ne descend que rarement ici, avec un plateau succinct : un verre d'eau, du pain, et parfois une soupe froide. Il m'est arrivé plusieurs fois de rêver d'un burger dégoulinant de cheddar, j'en salivais presque. Lorsque je me suis réveillée en réalisant que ce n'était qu'un songe, la déception fut grande.

Je ne ressens que la douleur.

Mon corps me fait mal, il me tire, se tord, se replie sur lui-même. Ma peau est devenue rêche à cause de l'humidité de la pièce. Mon bas-ventre me lance en permanence, et mes bras sont ankylosés depuis trop longtemps pour m'en préoccuper réellement. Je ne suis plus qu'une loque.

Pourquoi ?

Il fait si sombre, cette obscurité m'angoisse. Je clos mes paupières très souvent pour ne pas affronter cette noirceur, de peur de voir tous mes cauchemars prendre vie. Je n'ai pas vu la lumière du jour depuis si longtemps que parfois je me demande si je ne suis pas devenue aveugle. Et je m'en réjouis. Est-ce un mal de se sentir apaisée à l'idée de perdre la vue ?

J'ai à peine la force de tourner la tête vers le coin opposé de la pièce, et c'est là que je l'imagine ; ma meilleure amie. Le corps alangui, les mains tombant lâchement sur le sol, dans un repos éternel. Une image me vient à l'esprit et je vois Kacy, les yeux grands ouverts figés à jamais dans une expression de terreur.

Je pleure.

Les larmes dévalent le long de mes pommettes, de mes joues creuses et finissent leur course sur mes lèvres déshydratées. J'en récolte quelques-unes avec ma langue, espérant taire la soif qui me brûle les entrailles. Je n'ai pas bu depuis tellement longtemps, je n'ai même plus d'urine pour m'hydrater un peu.

Je continue de fixer Kacy, du moins l'endroit où je suppose être son corps. Mon regard ne peut se détacher d'elle. Mon amie, mon âme sœur.

Mon cœur se meurt en sentant l'odeur fétide du cadavre qui se flétrit, jour après jour. Ma meilleure amie n'est plus à mes côtés, je suis seule, ici, dans cette pièce obscure.

Soudain un bruit retentit dans la maison, je relève difficilement les yeux vers le plafond, un geste qui me provoque un mal de tête immédiat tant l'effort de bouger devient éprouvant.

Enfermée dans cette cave, je sais que le géant viendra bientôt pour moi et je l'accueillerai avec joie, souhaitant qu'il me libère de cette douleur constante. Le bruit des pas se rapproche et je reste là, stoïque, attendant la mort.

Adieu, monde ingrat.

Wild Beauty [sous contrat chez GLAMENCIA EDITIONS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant