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Depuis sa rencontre avec Lézard, il y a deux semaines, il a peur de croiser d'autres animaux, même Gribouille. Il prend de plus en plus conscience de la monstruosité des hommes et il n'aime pas voir ses amis souffrir. L'autre jour, Victor et Oscar ont passé une heure de permanence à embêter une fille avec une araignée en la posant sur son bureau puis en la mettant dans son pull... Elle n'a pas survécu.

Il sort de sa salle de classe après avoir attendu que tout le monde parte. Avec son handicap, il gêne les autres élèves dans les escaliers et préfère attendre cinq ou dix minutes pour aller manger plutôt qu'on ne le bouscule pour finir par se blesser.

Il est presque arrivé en bas quand il sent deux mains le pousser par derrière. Il s'écrase sur le carrelage et prend quelques secondes pour remettre sol et plafond à leur place respective avant de se redresser difficilement. Antoine est debout dans les escaliers et Victor, se tenant fièrement en haut des marches, éclate de rire.

- Bah alors l'infirme, on tient plus sur ses jambes ? Ah non, c'est vrai j'ai failli oublier, tu n'en as qu'une. C'est bien dommage.

Antoine fait un demi-sourire et finalement, Victor descend, passe au-dessus de Liam, ramasse ses béquilles et s'en va sans une remarque de plus.

Liam voit le malaise dans le regard d'Antoine. Celui-ci hésite, esquisse un geste pour lui tendre la main mais se replie rapidement.

- Je... Je suis désolé, lâche-t-il piteusement avant de partir rejoindre Victor dehors.

Liam ne s'attendait pas à des excuses de la part d'Antoine. "S'il n'avait pas été sous l'emprise de Victor, nous aurions pu être amis, songe-t-il dans un élan vain d'espoir."

Il se relève en s'aidant de la rambarde des escaliers mais une douleur fulgurante lui traverse la cheville et le ramène sur le sol. Il se traîne pour s'asseoir sur une des premières marches et voit une boule de plumes noires le fixer. C'est un merle.

Une larme coule sur sa joue. Ce n'est pas à cause de la douleur, non, il a connu bien pire ; c'est la honte et le dégoût de lui-même qui le submergent et dont il voit les reflets dans les yeux de l'oiseau qui l'observe attentivement en penchant la tête.


Il ouvre les yeux.

Le monde est tapissé de coton blanc sur fond d'aquarelle bleue. Le ciel ! Un océan gigantesque s'étalant à perte de vue, un océan calme pouvant se déchaîner en un instant, un océan vivant, temple sacré du peuple ailé.

Il voit un petit oiseau lui passer devant. Ses plumes luisent d'un noir de jais aux reflets bleu métallique et ses ailes fouettent l'air inlassablement. Le merle pirouette dans le ciel vaste avant de piquer vers la terre ferme, et il le suit.

Liam est devenu merle pour la nuit.

Il bat des ailes, le bec au vent, et plonge à contre-courant. Son univers lui semble insignifiant vu du ciel et ses problèmes disparaissent, comme emportés par le vent. Sous la forme d'un oiseau, ses rêves les plus fous prennent vie ; voler, sans entrave terrestre ni chaîne humaine, le rêve de tout homme qui se réalise. Il voudrait demeurer oiseau pour l'éternité...

Il rejoint Merle et tous deux commencent un ballet majestueux entre les branches d'arbres et les feuilles volantes. Ils finissent par se poser, non pas sur une branche mais un peu plus bas, sur le rebord d'une fenêtre. Merle n'aime pas être aussi proche du sol mais un détail troublant a attisé sa curiosité : un bipède sans carapace n'ayant qu'un membre inférieur.

Liam observe la scène depuis la fenêtre, au côté de Merle.

Il voit la faible créature clopiner dans les escaliers et deux autres bipèdes sans carapace surgir de derrière un mur. L'un d'entre eux rampe silencieusement et saute sur le monopode, le bousculant de ses deux pattes avant. Alors qu'il s'affale sur le sol, l'autre bipède resté sur son territoire, en hauteur, ricane nerveusement et crache son venin perfide avant de quitter son antre pour venir prendre la patte métallique tombée au sol et se retirer.

Le premier observe un instant l'estropié qui peine à se remettre sur patte, et amorce un mouvement pour l'aider, mouvement qu'il arrête avant d'atteindre son but.

Merle fait comprendre à Liam qu'il veut aller voir de plus près. Il prend son envol, quitte son perchoir et va se poser à l'intérieur, dans un coin du couloir. Liam ne le rejoint pas ; ce souvenir est trop douloureux pour l'âme d'oiseau qu'il possède.

Le bipède sans carapace, égaré et confus, se reprend, glapit misérablement et fuit la queue entre les jambes rejoindre le serpent venimeux qu'il sert, parfois contre son gré, espèrent l'âme et le corps de Liam à cet instant.

Liam voit Merle s'approcher du bipède mal-formé. Celui-ci rampe vers les marches et s'y agrippe avant que des perles de tristesse et de haine dévastatrices n'envahissent ses pupilles et ne sillonnent ses joues.

Merle a peur de l'aura que dégage le monopode mais sent qu'il a besoin d'aide, alors il s'avance prudemment et comprend instinctivement : il n'est pas dangereux, il est juste profondément mutilé et désespéré... 




Si vous êtes victimes de harcèlement, sachez que vous n'êtes pas seuls et qu'il existe des solutions. Ne laissez pas vos harceleurs vous réduire au silence, osez en parler, il y aura toujours quelqu'un pour vous écouter et vous aider : votre famille, vos amis, un adulte... ou des numéros comme le 3020.

Si vous êtes témoin de harcèlement, n'attendez pas l'irréparable pour réagir. Gardez le silence ou ignorer la situation fait de vous des complices, alors agissez.

LE HARCÈLEMENT, POUR L'ARRÊTER, IL FAUT EN PARLER.

Liam et les Métamorphoses chimériquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant