Et la mouette cria

Le temps des cerises

Mamée, ça fait quoi de carder son lit
Ça fait quoi d'avoir si froid la nuit
Que l'eau à tes côtés a gelé?
Ça fait quoi de rêver à la chaleur de l'été?

Et même l'été ne te sauverait pas,
L'été, les cerises avaient besoin de toi;
Assez petite pour te hisser tout en haut,
L'été passait si vite sous l'ombre de ton chapeau...

Mamée, ça fait quoi quand à neuf ans
On te dit que tes études, c'est moins important
Que la récolte du début d'été :
Ce n'est pas ce qui te donnera à manger.

Ça fait quoi de devoir grimper
Dans les branches du grand cerisier,
Devoir remplir des paniers à n'en plus finir,
Voyant au loin tes rêves s'enfuir ?

Ça fait quoi de monter sans rechigner
Sur la grande échelle qui commence à rouiller,
Toujours les mêmes gestes, les mêmes mouvements,
Encore et encore pendant plus de cinquante ans ?

Mamée, t'avais mon âge quand tu t'es mariée
À un homme que tu venais à peine de rencontrer,
Est-ce ta famille qui a décidé pour toi,
Est-ce que tu as été forcée, t'ont-ils laissé le choix?

Y avait-il quelqu'un d'autre dans ton cœur, dans ta tête,
As-tu eu des relations qui sont restées secrètes,
Des gens que tu allais retrouver la nuit à tâtons,
Tu avais si peur du qu'en dira-t-on.

Il faut dire que dans les campagnes, les ragots circulent vite :
Le Mémé était une commère d'élite,
Et gare à toi s'ils arrivaient aux oreilles du Fada,
Tu aurais aussi bien pu te confier à Judas..

Mamet comme l'épelle Marcel Pagnol,
Parfois tu te refugiais dans le cabanon des espagnols,
Eux qui trimaient pour deux francs six sous,
Toi tu faisais pareil, mais pour rien du tout...

Mamée, ça fait quoi de tuer son premier lapin,
T'étais plus jeune que moi, avais-tu du chagrin ?
Ou était-ce la promesse d'un diné bien complet,
D'une nuit ou enfin ton ventre se tairait ?

Ça fait quoi de voir tes amis disparaître,
Le vide qu'ils ont laissé dans ton être
À s'envoler, chaque jour, un à un,
Ça fait quoi de se demander qui sera le prochain?

Mamée, il y avait quand même parfois du bon
À échanger trente courges contres deux beaux jambon ;
Dans les campagnes, tout le monde s'entraide,
Pour survivre, il n'y a pas de meilleur remède.

Mamée, j'essaie de suivre vos traces tu sais,
Je suis prête à affronter le soleil et le vent glacé ;
Je parcours la forêt pour tracer mon chemin,
M'inspirant de ta face pour devenir quelqu'un de bien.

04/06/21