"Je m'appelle Léa Murieaux, j'ai quinze ans, je suis en Seconde, j'habite en Seine-Saint-Denis, et je cherche un stage... et... voilà, c'est tout...", c'est comme ça que tout a commencé, une voix tremblante, des mots approximatifs, une élocution peu éloquente, l'esprit, lui, déjà en vacances.
C'était au mois d'avril, je devais trouver un stage pour la fin de l'année, je n'étais pas très motivée, et ça se voyait. À vrai dire, je comptais sur la terre entière, exceptée moi-même, pour trouver ce stage, j'attendais naïvement qu'il me vienne à moi. "Réfléchissez à ce que vous voulez faire plus tard", ces mots-là, on me les répétait sans cesse. Mais, fallait-il encore qu'ils comprennent que si effectivement, à six ans, on sait clairement ce que l'on veut faire plus tard, il faut admettre qu'à quinze ans, on le sait beaucoup moins. Je dirai même que l'ignorance nous guide, là où la connaissance nous perd, à six ans, on ignore tout du monde dans lequel on vit, alors on croit tout savoir sur notre avenir, tandis qu'à quinze ans, quand on comprend réellement comment fonctionne la société, on réalise que l'on en sait beaucoup moins. Bon, ça, j'aurais aimé pouvoir le dire, mais vous vous doutez bien que la fille que j'étais n'aurait jamais eu le courage ni l'audace, et encore moins le talent pour le faire. Alors, je restais là, j'écoutais, je rêvassais, je continuais naïvement d'attendre.
Et puis un jour, alors que j'attendais encore, le miracle arriva. Ma mère me dit qu'elle connaissait le nouveau député, tout juste élu de notre circonscription. Ça s'était passé comme ça :
"Léa, je sais où tu vas faire ton stage !
- "Ah bah, quand je te disais que ça arriverait tout seul...
- Tu vas aller chez Beaufort, le nouveau député de la circonscription.
- Circonscri-quoi ?"
Oui, c'est vrai, la politique et moi, c'étaient vraiment deux mondes diamétralement opposés, en clair, je n'y connaissais strictement rien. Alors, comme le ferait tout le monde aujourd'hui, j'ai ouvert ma barre de recherches sur mon téléphone, et j'ai tapé "circonscription". Et, à vrai dire, ça ne m'a pas tellement avancée : "division légale d'un territoire", difficile de faire plus clair. Mais, j'avais envie d'en savoir plus, après tout, il s'agissait du seul endroit dans lequel je pouvais le faire, ce stage. Alors, je suis retournée voir ma mère :"Maman, c'est quoi une circonscription ?
- C'est pas bien difficile pourtant Léa !, m'a-t-elle répondu avec agacement.
- Bah... J'ai pas compris, répondis-je avec culpabilité.
- Bon (soupir) La France est divisée en 577 circonscriptions, c'est en quelque sorte des morceaux du territoire de la France.
- Ah, donc une circonscription, c'est une ville, avançais-je naïvement.
- Non, en France il y a 35 000 villes et villages, tu vois bien que c'est trop
- Bon alors, comment on fait pour délimiter une circonscription, ça fait quelle taille ?
- C'est pas par rapport à la taille Léa ! (soupir) Vous apprenez pas ça en EMC ?
- Non, à vrai dire, je ne m'attendais pas à une telle question, c'est à se demander si je ne dormais pas en cours d'EMC.
- Alors, ça se découpe en fonction du nombre d'habitants. Une circonscription, c'est un paquet de 125 000 habitants environ. Donc, dans un département, on regroupe plusieurs villes qui sont géographiquement proches ensemble, jusqu'à atteindre le nombre de 125 000 habitants. Moins les villes sont peuplées, comme à la campagne, plus la circonscription est grande et englobe plus de villes, ou villages. Tu comprends ?"Et c'est à ce moment-là, que pour la première fois de ma vie, j'avais compris quelque chose en politique. Alors évidemment, ça, ce n'était rien par rapport à tout ce qui restait encore à découvrir, mais pour moi, c'était déjà énorme. Les jours passaient, puis arriva le jour de l'entretien. J'avais peur, peur d'être interrogée sur des sujets dont jamais, je n'avais entendu parler, j'avais peur, au point d'en faire plus d'un cauchemar, au point de croire que le miracle aurait pu s'arrêter là, au point de croire, que ce stage, je ne l'aurai pas. Pleine d'angoisse, j'appréhendais, mais alors qu'il entrait dans le bureau, ce petit espace dans lequel j'étais figée, paralysée depuis cinq longues minutes où je l'attendais, sa douce voix résonnait :
- "Enchanté, Alain Beaufort, le député", et il enchaina, "Je n'ai qu'une seule question pour vous, Léa, présentez-vous, présentez-moi qui est cette jeune fille charmante, ce matin dans mon bureau."
Hésitante, je ne savais pas quoi dire, pas quoi répondre, ni comment. Alors d'une voix tremblante, je m'élançai avec ces quelques mots qui vous sont maintenant familiers : "Je m'appelle Léa Murieaux, j'ai quinze ans, je suis en Seconde, j'habite en Seine-Saint-Denis, et je cherche un stage... et... voilà". J'aurais sans doute pu mieux faire, mais ça avait visiblement suffi.
Voilà, c'est comme ça que j'en suis arrivée là, moi, Léa Murieaux. Et aujourd'hui, c'est le grand jour. Sur les marches de l'Assemblée Nationale, cet imposant bâtiment du 7ᵉ arrondissement de Paris, je m'apprête à monter, à m'élancer tout droit derrière ces douze colonnes. Non sans appréhension, je m'apprête à franchir une ligne, à ouvrir une porte, et à entrer. Mais à peine le pied posé, le corps redressé, et les yeux rivés sur ces imposantes douze colonnes qui me font face, une vive voix surgit dans mon dos, et me surprend au plus profond de moi, interloquée.
- "Mademoiselle, ...!" (respiration profonde)
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Les Douze Colonnes
General FictionLéa Murieaux, une lycéenne en Seconde, effectue son premier stage à l'Assemblée Nationale, et découvre le monde de la politique française, un monde auquel elle est encore réticente. Pour la première fois de sa vie, elle franchit les douze colonnes q...