- "Mademoiselle, ...!" (respiration profonde)
Je me fige un instant, à peine ai-je le temps de me retourner...
- "Mademoiselle, oh !"
Je me retourne, et je tente d'identifier l'homme à qui appartient cette voix. Alors que je balaye de droite à gauche mon champ de vision, j'entends une personne courir vers moi. Des pas lourds, rapides, et tout à coup, une main saisit mon bras. Abasourdie, je ne comprends pas, que se passe-t-il donc ? Totalement sonnée, je parviens toutefois à reprendre lentement mes esprits, et j'aperçois enfin l'homme qui me tient. Subitement, je vois écrit sur son uniforme le mot "Police", je ne comprends plus ce qui se passe. L'homme me tire vers le bas des quelques marches que j'avais eues le temps de monter, et à l'instant même où mes deux pieds touchent le sol, sa vive voix revient sonner à mon oreille :
- "Qu'est-ce que vous faites là ?"
Je regarde l'homme, le fixe dans ses yeux, et ouvre peu à peu ma bouche, tentant de prononcer les quelques mots qui me viennent à l'esprit :
"Je suis en stage ici, c'est le premier jour... dis-je d'une voix fébrile
- C'est pas par là qu'on entre jeune fille !, s'exclame le policier
- Ah ?, je suis plus qu'étonnée, On est bien à l'Assemblée Nationale ?
- Le policier rit légèrement, souffle un coup. Bon, visiblement on vous a pas tout appris. Ici, c'est le palais Bourbon.
- Ah ? C'est pas l'Assemblée Nationale ? J'ai dû me tromper alors...
- Le policier se retient d'éclater de rire. Alors vous, vous avez pas la lumière à tous les étages. L'Assemblée Nationale possède plusieurs bâtiments, donc, l'Hôtel de Lassay, là où habite le président de l'Assemblée nationale, et juste ici, c'est le Palais Bourbon, là où siège l'assemblée, c'est-à-dire là où les députés votent, dans la grande salle qui s'appelle l'hémicycle.
- Bon bah, on est au bon endroit alors, où est le problème ?
- Le problème, comme vous dites, c'est qu'on entre pas par là ! Imaginez l'état du bâtiment si tout le monde montait les escaliers comme vous. 577 députés, un par circonscription, je peux vous dire que tout ce serait déjà écroulé.
- On entre par où alors ?
- Le policier rit légèrement à nouveau, m'observe avec le regard d'un père ou d'un maître d'école, et sourit. Allez, venez, je vous montre, suivez-moi, dit-il en me faisant un geste de la main.
- D'accord..."Je marche derrière lui et le suis, nous contournons la grande façade et ses escaliers, et empruntons une rue située sur la gauche, la Rue Aristide Briand. Je vois sur ma gauche la boutique de l'Assemblée Nationale, mais à peine mes yeux sont émerveillés par la vitrine et ses beaux souvenirs exposés, que nous tournons à droite, Rue de l'Université.
- "C'est ici, le 126 rue de l'Université, entrée du Palais Bourbon, je veux plus voir sur l'escalier là-bas, c'est pas fait pour ça ! Compris ?"
Aussitôt, le policier disparaît, et me voilà seule devant cette nouvelle porte d'entrée. Cette fois-ci, il n'y a pas d'escalier, les douze majestueuses colonnes ont laissé leur place à huit petites colonnes, réparties de part et d'autre d'une grande porte bleue, servant sans doute au passage des voitures. La piétonne et adepte des métros et RER que je suis, non pas par conviction, mais par manque de moyens, n'a évidemment pas le privilège d'entrer par là. C'est donc par une petite porte, au charme bien moindre, que je pénètre dans l'édifice. La désillusion est claire, moi qui croyais gravir les escaliers telle une princesse, se retrouve à entrer par une porte cachée, telle une servante pénétrant par la porte de service.
Je pousse alors la porte, mais une nouvelle désillusion m'attend. Une femme me demande de vider mon sac, face à moi se trouve un portique de sécurité. Dans la confusion, j'avance, bip, je recule, bip, la dame en face de moi peine à cacher son agacement. Puis, une fois cette épreuve passée, je me retrouve face à un autre homme, au travers d'une vitre :
- "Carte d'identité !", me dit-il
Le stress me vient alors, l'ai-je oubliée ? Heureusement, je mets ma main au fond de mes affaires, et parvient à la sortir, légèrement pliée. L'homme la saisit, l'observe, ouvre son ordinateur, et la garde dans un tiroir. Il décroche son téléphone, appelle quelqu'un, et me fait un signe de la main en direction d'une porte à droite, me faisant comprendre que je peux entrer.
Je débarque alors dans une grande cour, un peu perdue. Je regarde droit devant moi, et je reconnais un peu plus loin Alain Beaufort, le député de ma circonscription, mais qui est surtout mon maître de stage. Alors que je me rapproche, je distingue une colère se dessiner sur son visage, ou du moins un agacement certain. Je le salue, mais il ne répond pas, il se contente de m'ouvrir une porte au fond de la cour, celle donnant dans l'intérieur du Palais Bourbon, et alors que j'entre et contemple cette fois-ci non pas douze, ni huit mais quatre colonnes, Alain parle enfin :
- "Dépêche-toi Léa, ça a commencé, rentre par la porte du public en haut de l'escalier."
Ai-je à peine le temps de répondre que ce dernier s'empresse d'entrer par les portes réservées aux députés. Je monte alors, comme convenu, ouvre la porte donnant accès à l'hémicyle, et m'assois sur un des bancs réservés au public, situé au dernier étage, le plus haut, de l'hémicycle. De là, je vois tout, et je respire enfin. Après un début de journée aussi mouvementé, je crois enfin trouver mon moment de répit, lorsque tout à coup, une voix s'exclame dans l'assemblée et, d'un brusque sursaut, me tire en dehors de mon léger moment de réconfort.
Peu à peu, les esprits semblent s'échauffer, les applaudissements comme les sifflements fusent dans tous les sens, le ton s'élève, tout ou presque devient inaudible, mais que se passe-t-il donc ?
(Bruit de pagaille, paroles inaudibles)
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Notes sur ce chapitre
Ce chapitre se concentre sur la description des lieux de l'Assemblée Nationale. L'ensemble de la description a été réalisé de manière réaliste, extrêmement fidèle à la réalité des lieux, à partir d'une véritable visite du Palais Bourbon (Assemblée Nationale) lors des Journées Européennes du Patrimoine en 2022.
La scène du passage des contrôles de sécurité est la reproduction quasi identique d'une scène réellement survenue lors de mon premier jour de stage au Ministère de la Justice.
La scène initiale sur les marches du Palais Bourbon est en réalité techniquement impossible, la façade étant entourée de grilles fermées.
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Les Douze Colonnes
General FictionLéa Murieaux, une lycéenne en Seconde, effectue son premier stage à l'Assemblée Nationale, et découvre le monde de la politique française, un monde auquel elle est encore réticente. Pour la première fois de sa vie, elle franchit les douze colonnes q...