-Prologue-

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C'était en avril 86. J'avais appris par la radio qu'un réacteur d'une centrale nucléaire d'URSS avait explosé, libérant un nuage radioactif qui se propageait sur l'Europe. Ma mère, qui était avec moi en train d'éplucher les patates, ne se prit pas la tête sur la question :

"Éteins-moi ça. Si on d'vait croire tout ce'qu'ils disent à la radio, on s'rait tous à l'asile."

Le lendemain à la fac, on ne parlait que de ça. Tout le monde se foutait de la gueule des infos, et du gouvernement, pour tenter de nous faire croire que les nuages ne traversaient pas les frontières. On est pas con à ce point. "Il n'y a pas de risque de retombées du nuage radioactif" qu'ils ne cessaient de répéter. Certains disaient que l'URSS l'avait envoyé exprès, ce nuage. La plupart des communistes étaient bien sûr contre cette hypothèse, ma famille comprise. Joëlle m'expliqua en quoi les autorités russes n'avaient rien dit sur le sujet, et comment c'étaient les Suédois qui avaient découvert que leur radioactivité avait dangereusement et trop subitement augmenté. Moi, je ne me fis aucun avis sur la question. Après tout, nous, à Bordeaux, ne craignons pas grand-chose... Ce propos ne plut pas à Joëlle, qui m'expliqua que l'enjeu était ici informatif : qui croire, et qui accuser.

Quelques jours plus tard. Les médias avouèrent indirectement leur mensonge, les données radioactives ne pouvant être mises sous le tapis plus longtemps. Des cartes d'une France sous un nuage radioactif furent montrées, sans pour autant avoir de discours alarmant.

La Suisse avait pris de grandes précautions, ce ne fût pas le cas de la France, qui continuait de déclarer le nuage sans danger.

Le refoulement a ses bienfaits. Les jours passèrent. La catastrophe de Tchernobyl devint une information comme une autre, une anecdote. On oublia. Et tout redevint plus calme, malgré ce nuage, toujours bien présent. Telle une gangrène dans nos sols, il s'infiltra partout, silencieux, prêt à se manifester sous une autre forme qu'une simple frayeur passagère. Empoisonnant sans un bruit, sans une odeur, nos corps, profitant de l'amnésie collective.

MichelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant