Chapitre 3 : Aélys

80 21 33
                                    

La matinée était bien entamée et la chaleur était déjà présente dans la forge. Mon front suait à grosses gouttes tandis que mon travail se poursuivait sur cet orbe damné.

Les yeux dorés d'Eden m'avaient hanté toute la nuit, m'empêchant de me reposer pleinement. Un millier de questions étaient venues agiter mon esprit quant à ses motivations, pour autant, il ne trouva aucune réponse logique.

J'avais imaginé son frère dont la force faiblissait et qui avait besoin de se nourrir d'une âme puissante, mais très vite j'avais compris que ça n'avait pas de sens. Eden avait bien précisé que mon travail était d'une qualité indéniable et que les dieux n'avaient pas eu de telles marchandises depuis longtemps. Le dieu de la mort ne pouvait donc pas être épuisé. Puis, j'avais songé à l'inverse, peut-être qu'Eden souhaitait désabuser son frère en lui imposant une âme trop riche, mais encore une fois, ma logique n'avait pas de sens, car les dieux ne pouvaient saturer de la foi des humains.

Ils pouvaient être oubliés de tous, mais plus leur conviction était grande, plus le dieu était redoutable. C'était ainsi que fonctionnait ce monde.

J'avais fini par abandonner et par me rendormir.

Sous les ordres d'Eden, je transmettais tous les sentiments négatifs que je possédais en mon fort intérieur. Tout ce qui pouvait me rendre triste ou me mettre en colère. Tout ce que je n'osais pas avouer à voix haute.

Je pensais à cette forge, à cette chambre et à ces couloirs qui étaient les entraves qui m'empêchaient de voir au-delà de ces murs. Je pensais à ma vie qui était simplement une vie de labeur dans une cage d'acier. La femme de la veille vint inonder aussi mon esprit et la colère que j'avais ressentis à son égard sur son manque de respect, anima le coup de marteau qui tapa l'âme violemment.

Des étincelles jaillirent dans ma direction et brûlèrent une fois de plus ma peau meurtrie. Je haïssais ces mains si abîmées qui rendaient mon apparence moins féminine et moins gracieuse. Je haïssais le fait de m'être sentie inférieure face à Eden et surtout je haïssais la peur que j'avais éprouvée.

La colère qui imprégna mon cœur se transmit dans le manche et dans la tête du marteau. Le choc fut intense et une nouvelle vague d'étincelles illumina l'âme le temps de quelques secondes, la rendant presque invisible.

Lorsque celle-ci réapparut, j'étais à bout de souffle et je ne pus réprimer un sentiment de surprise.

L'âme violette avait viré au rouge rubis. Jamais de ma carrière, une âme avait pris cette teinte et lorsque mon regard croisa celui de Louis, je me rendis compte que lui aussi était étonné. C'était subtil, mais je commençais à comprendre comment il fonctionnait et il était clair qu'il était intrigué.

Je m'abaissais à hauteur du plan de travail pour observer la courbe de la sphère. Mon œil aguerri était capable de repérer la moindre imperfection qui pouvait rendre une âme divergente.

Parfait ! Voilà ce qu'était l'œuvre que je venais de créer. Une sphère impeccable, lisse et brillante. J'attrapais un chiffon doux pour retirer les dernières poussières qui étaient présentes et pris avec précaution l'orbe entre mes mains.

À la lumière du feu dansant, la sphère semblait être animée par un cœur pulsant. Son rouge était éclatant et intrigant.

Je me dirigeais vers le tuyau pour clôturer cette commande. La prière que j'avais d'ordinaire pour chacune d'entre elles fut cette fois-ci silencieuse. Je ne savais pas quoi lui souhaiter à part une vie rapide et la moins douloureuse possible. Elle allait souffrir, pleurer, ressentir de la colère, que des émotions négatives qui la pousserait à rompre le contrat.

Du bout du pouce, je caressais sa surface lisse tandis que mon attention se portait sur Louis. Un mouvement de sa part venait d'attirer ma curiosité. Pour la première fois, je le voyais bâiller. La nuit avait effectivement dû être courte pour lui aussi.

Mon regard se perdit dans sa bouche et déclencha un sentiment d'effroi. Louis ne possédait pas de langue, elle avait été coupée nette. Le choc fut tel, que la sphère me glissa des mains. Dans un réflexe je tâchais de la maintenir en équilibre entre mes paumes, mais tout ce que j'y gagnais était de me déstabiliser davantage. Je basculais en avant, droit sur le tuyau qui devait accueillir l'âme. Dans ma chute, mon genou tapa contre le levier, ouvrant la porte sur le monde des humains. Louis tenta de me rattraper en vain. Mon corps chavira dans les profondeurs de ce tube. 

La forgeuse d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant