Moi, Rune, Bibliothécaire

Éaque

Par un humide après-midi d'été, deux adultes, dans une maison, se battaient. Se battaient contre la mort, se battaient pour la vie. Se battaient pour que leur enfant naisse sans ôter une vie.
C'est ainsi qu'ici, dans cette maison sur un flanc de montagne, malgré l'acharnement de l'homme et la force de la femme, que cette dernière en ce 6 juillet, rendit son dernier souffle, ne laissant derrière elle qu'un mari veuf et un nourrisson meurtrier.
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- Chōra, si tu ne rentres pas maintenant, tu vas finir malade, et ne compte pas sur moi pour te ménager !

Le sourire d'Éaque disparut. Il aimait bien, lui, rester sous la pluie à observer le ciel ! C'était si beau, de voir ces formes blanchâtres devenir de plus en plus grises, de plus en plus foncées, pour finir par éclater en un bruit sourd et relâcher ces gouttelettes scintillantes, qui tombaient sur la cime des arbres, coulant de feuilles en feuilles ; et qui finissaient leur course folle en se brisant sur la terre rendue molle par l'humidité, traversant cette barrière, atteignant les racines, permettant aux végétaux de s'épanouir, continuant ainsi l'éternel cycle. Oui, c'était cela : il aimait voir la vie.
Il aimait observer le changement continuel des arbres, des plantes autour de lui. Il aimait observer les insectes, les animaux, qui empruntaient la même route, les mêmes chemins, enseignaient aux plus jeunes leur façon de vivre, afin qu'eux même un jour puissent survivre dans cette nature sauvage. Il aimait voir les hommes, dans le village en contrebas, discuter, s'énerver, se battre parfois même, avec de grands gestes et de grands discours, que les enfants recopieront plus tard, dans un perpétuel recommencement.
Il aimait toute sa beauté, toute sa finesse et tous ses changements. La pluie tombe du ciel. S'écrase contre le sol. Et finit par créer ce petit réservoir d'eau, qui leur servait, à lui et son père, de réserve naturelle. Pourtant, la prochaine fois qu'il pleuvera... La pluie tombera. Les gouttes s'écraseront. Mais ce minuscule étang, lui, changera d'emplacement, de taille, et des animaux viendront y vivre, peut-être ? Et la fois d'après, encore une fois, cela changera. Sans qu'il ne puisse prédire ce qu'il se passera. La vie est un éternel recommencement, mais qui, paradoxalement, varie à chaque fois.
Et Éaque aimait cela. Aimait observer ces changements, parfois moindres. Aimait les analyser et les comprendre. Aimait apprendre, tout simplement.

- Eaque. J'ai cuisiné du Dal Bhat*. Il serait dommage que tu n'en aies plus...

Silence.

- Bubā ! C'est pas juste ! C'est du chantage ça !

Mais malgré ses protestations, l'enfant rentra dans la maison, l'appel de la faim se faisant plus fort que son envie d'observer le paysage. Et tout en s'asseyant devant son repas, le garçon lança un faux regard noir à son père.

- Tricheur, lança t-il, mais avec un sourire. Tu ne manges pas, toi ?

Il venait de remarquer qu'il n'y avait qu'un seul bol, pour lui, sur cette table. Hors, il y avait deux personnes dans cette maison.

- Non, j'ai déjà mangé. Je n'allais pas attendre que la pluie cesse et que le garnement qui me sert de fils daigne rentrer pour manger !

Son père se mit à rigoler, et Eaque leva les yeux au ciel avec un sourire.

- Mais ce n'est pas si grave, va. C'est beau de voir que la nature t'intéresse. Et au moins, tu t'es trouvé une passion !

L'homme s'était avancé vers son enfant, et passa une main dans les cheveux noirs ébènes de celui ci, dans un geste tendre. Ils se regardèrent tous les deux, en silence, appréciant chacun ce moment calme.

- Tu es trempé... Tu devrais vite te changer, tu risques d'attraper froid...

Le garçon hocha la tête, approuvant ce que l'adulte lui disait. Ce que cette seule figure parentale lui expliquait, ce que cet unique membre de sa famille lui racontait. Ce que son père, cet homme qu'il aimait, lui conseillait.