Victor n'était pas venu depuis longtemps. Son odeur semblait envolée. Dissipée, elle ne revêtait plus ni les meubles, ni les couvertures, ni la peau du deux-pieds aux cheveux de jais. Le faux maître. Octave tournait dans la maison, allait de pièce en pièce, lion en cage. Il déambulait telle une âme en peine à la recherche d'un vestige tangible de son sauveur bien-aimé. Mais le parfum doux, sucré, bonheur passager parfois transformé en l'indescriptible effluve de peur, demeurait introuvable. Ainsi, dans un monde privé de la délicatesse de cet homme, des mois s'écoulèrent.
Ce qu'il interpréta comme des mois, du moins. Chaque fois qu'il s'éveillait, alors que le soleil perçait le rempart des nuages et de la nuit, la mère ou le père deux-pieds, ou l'un de leurs enfants arrachait la page d'un calendrier. Un jour passait, comprit-il avec le temps. Et chaque jour qui s'envolait éloignait un peu plus le souvenir de son deux-pieds. Un, puis deux, puis trois. Et un matin, il réalisa que plus de trois cent soixante jours s'étaient ainsi évaporés.
« Dis, Octave, tu penses que Vic' reviendra ? Je m'inquiète, tu sais... »
Le deux-pieds brun le regardait depuis son bureau, un stylo entre les dents. Octave interrompit sa toilette et le scruta de ses prunelles brillantes. Inquiétude. Odeur mauvaise. Peur ? Non, pas exactement. Elle était plus subtile. La Peur était là, mais pas tout à fait. Elle ne s'était pas encore installée. Il tendit l'oreille. Il perçut le battement de cœur du deux-pieds qui accélérait. Pour une fois, il ne mentait pas.
Il sauta du lit pour le rejoindre. Il se roula en boule sur un cahier et plongea son regard dans les iris bleu foncé de l'humain. Perle d'appréhension, au fond. L'odeur d'inquiétude le prit à la gorge, Peur gagnait en puissance. Elle grandissait sans cesse, s'efforçait d'occuper toute la place. Il suffoqua. Il battit la queue, elle s'attachait à ses poils. Elle griffait, elle mordait, elle blessait. Elle tuait. Avait-elle emporté « Vic' » avec elle ? Il sentait la Peur, toujours. Occupait-elle toute la place, pour lui aussi ? Tuait-elle, pour lui aussi ? Mort, dans ce cas ? Mais qu'était-ce, la mort ?
Il miaula. Le deux-pieds aux cheveux noirs sourit, une vague de tristesse émana. Octave posa la tête sur ses pattes et ferma les yeux. Il rêva de son humain. Il revenait. Revenir. Venir encore ? Il n'était pas sûr de comprendre ce mot. Phénomène de répétition ? Mais la répétition s'était brisée. S'il avait correctement interprété ce qui se disait autour de lui, il vivait ici depuis deux ans. Il ne savait pas vraiment ce que signifiaient ces deux ans. Longtemps. Un an plus tôt, « Vic' » était venu. Puis il était reparti en silence. Un matin, il l'avait salué, lui avait accordé une caresse, versé des croquettes, puis il avait fermé la porte. Depuis, il avait attendu. Revenir. Mais son odeur, elle, n'était jamais revenue.
Le deux-pieds brun soupira et s'étira sur sa chaise. Ce bruit le sortit de sa torpeur, il sursauta et se leva aussitôt, les oreilles abaissées. Au même moment, un son retentit. Ding dong, où quelque chose comme ça. Aigu, désagréable, effrayant. Un bruit de pas l'accompagnait. Piétinement derrière la porte, un étage plus bas. Un aller-retour nerveux qu'il reconnut sans mal. Il s'élança hors de la chambre, traversa le couloir, dévala les escaliers, s'assit dans l'entrée. Sa queue fouettait l'air, il miaulait à pleins poumons. Son odeur envahissait sa truffe. Il était là. Le deux-pieds gagna enfin la pièce, si lent. Il souffla, ouvrit le battant. La surprise éclaira son visage.
« Vic' ? »
Octave se redressa, le parfum de douceur se raviva. « Vic' » ne dit rien, il s'approcha de lui, se baissa. Sa main caressa son pelage, et ce fut soudain comme s'il n'était jamais parti. Revenir. C'était beau. C'était bien. Revenir, c'était venir mais en mieux. La main passa sous lui, il quitta le sol, se blottit en ronronnant contre lui. Revenir. Phénomène de répétition. Il mit une année, mais la répétition opéra enfin. Peur ne l'avait pas terrassé.
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Question d'odeurs [ Eden ]
Romance« 𝑇𝑢 𝑡'𝑎𝑝𝑝𝑒𝑙𝑙𝑒𝑟𝑎𝑠 𝑂𝑐𝑡𝑎𝑣𝑒. 𝐶'𝑒𝑠𝑡 𝑏𝑖𝑒𝑛, 𝑂𝑐𝑡𝑎𝑣𝑒. 𝐶'𝑒𝑠𝑡 𝑢𝑛 𝑒𝑚𝑝𝑒𝑟𝑒𝑢𝑟, 𝑂𝑐𝑡𝑎𝑣𝑒. 𝐼𝑙 𝑑𝑒𝑣𝑎𝑖𝑡 ê𝑡𝑟𝑒 ℎ𝑒𝑢𝑟𝑒𝑢𝑥, 𝑂𝑐𝑡𝑎𝑣𝑒. 𝑇𝑜𝑖, 𝑒𝑛 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑐𝑎𝑠, 𝑡𝑢 𝑑𝑜𝑖𝑠 ê𝑡𝑟𝑒 ℎ𝑒𝑢𝑟𝑒𝑢𝑥. »...