Chapitre 5: Perte de vitesse

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Point de vue Fanny
Ma mère décline.

C'est terrible de le constater quand on y a tous cru. Même elle. Même les médecins. Je ne suis plus à l'âge où on dit « ma maman », mais j'ai déjà peur de ne plus jamais devoir le dire.

Je vois mon père cacher autant qu'il peut sa peur, ses larmes, mais il n'est pas très bon à cet exercice. Il a dû annuler la fête pour leurs 18 ans de mariage, de crainte que ça l'épuise ou qu'elle ne soit pas en état.

Bill parle de moins en moins, je vois qu'il a peur. C'est une peur sourde, qui nous fait tous pleurer certains soirs contre le tissu de notre oreiller. Ça prend aux tripes et ça les lacère.

Un cancer, ça n'arrive qu'aux autres, pas vrai ? C'est cliché de dire ça mais c'est véridique. Le cancer c'est le truc des enfants malades qui réalisent leurs rêves, c'est le truc des vieux grabataires qui ont vécu et râlé de tout leur soûl, ou celui de quelqu'un d'autre, loin. Pas celui de ta maman quand tu es encore enfant.

Ma maman oublie des idées. Je pense que dans sa tête on dirait ma chambre. Des fois elle est debout, tranquille, normalement, et elle tombe. D'un coup, comme ça. Troubles de l'équilibre. Le pire de cette situation, c'est que j'ai l'impression d'être la seule à voir tout ça.

Mon père se voile la face, mon petit frère est trop flippé, ma mère affaiblie. Elle est toujours en train de réfléchir à son « avenir professionnel », avec mon père, alors que moi je vois que déjà la partie « avenir » est compromise.

Le collège est au courant de la situation. À cause de moi. En cours d'anglais, on a vu le film Billy Elliot. Les personnages principaux sont de la même famille. C'est un père et ses deux fils. La mère est décédée. À un moment, un des fils court pour rejoindre son père sur le point de renoncer. Ils se battent un peu, et se mettent à pleurer. Ça a tant fait écho en moi... Ma prof a remarqué mes larmes (comme toute la classe, youpi...) et elle m'a interrogée après le cours. Je lui ai tout raconté. Mais comme tous les adultes comme ça, elle n'a pas gardé sa langue. Ça l'a émue, comme un livre où l'issue est évidente mais les personnages sont les derniers au courant, ou alors, comme un livre où on craint le pire mais « tout est bien qui fini bien »

Conséquence : Comme dans Nos étoiles contraires, en reprenant leur terme, ils nous font des « cadeaux cancer » :
On peut sortir quand on veut, les adultes sont beaucoup plus mielleux avec nous, c'est écœurant et ça pue la pitié et la maladie.

Ce qui est aussi difficile c'est le soutien des gens. Les amis de mes parents, des voisins etc...
Certains se sont barrés à la rechute. Oui, puisque personne n'ose le dire, je le fais, C'EST une rechute. Les autres sont gentils mais ça pue le cancer leurs cadeaux, leurs attentions. On sait que c'est pour nous laisser notre intimité tout en montrant leur soutien mais c'est aussi déchirant que le reste.

Pour la maladie, il y a un médicament (inefficace à présent, mais existant), mais pour la peine, les cœurs meurtris, que dalle. On peut la soigner, elle, mais nous on est juste des dommages collatéraux.

 Après moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant