Chapitre 10: Au revoir ?

8 1 4
                                    

Encore une réunion improvisée avec Dr Darlini. Juste Marc et moi. Nous patientons dans son bureau, assis côte à côte sur les sièges inconfortables.

Marc regarde constamment l'heure sur son téléphone puis sur sa montre. Il va pour se lever et regarder si elle arrive quand on toque à la porte. Dr Darlini nous salue en évitant notre regard.
Houlà ça sent mauvais, ça. Et elle a fermé la porte, alors qu'elle la garde ouverte tout le temps afin d'être disponible. Elle a les yeux rougis. Elle a pleuré. Une précédente opération ou un événement ultérieur se serait mal passé ?

Son corps de quadragénaire naturellement voûté est recroquevillé sur lui-même et ses rides naissantes ressortent un peu. Sa blouse blanche la fait paraître particulièrement pâle.

Elle tente de s'éclaircir la voix.
« - Alors... Dahlia Guylann. »
Elle ordonne rapidement la paperasse qui couvre son bureau. Elle relit rapidement un document, et les larmes lui montent aux yeux. Elle dissimule son émotion en attrapant sa tasse « Firenze » derrière elle pour faire semblant de la boire.

Elle lève enfin ses yeux embués sur Marc et moi. Sa voix saute des octaves sans prévenir.

Je pense à Bill. Je n'aurais probablement pas l'opportunité d'être là à sa puberté. Je ne connaîtrai que sa voix de petit garçon. Ça fait quelques temps que ces pensées surviennent d'un coup.
(Back to reality, Dahlia)

Je sens Marc tendu à côté de moi. Il s'impatiente. Elle a l'art de tourner autour du pot. Notre interlocutrice respire, pour évacuer son stress, visiblement. Et mon mari explose à mes côtés. Il dit calmement mais d'une implacabilité inimaginable :
« Il lui reste combien de temps ? »

Dr Darlini ouvre la bouche.

« Accouche! Vous tournez sans cesse autour du pot en employant des mots pour enfants pour nous préserver mais on comprend en traduisant tout en VRAIES paroles, et de toutes façon on vit tout ce que vous dites, la cruauté en plus. Personne n'enveloppe notre peine du quotidien dans des mots cotonneux. Non! Ça détruit nos cœurs au silex mais c'est comme ça. Alors combien ? »

Le docteur est bouche bée. Elle fond en larmes, elle ne sait pas le dire avec ses propres mots. Elle souffle :
« C'est jamais sûr dans ces cas là, mais quelques semaines a priori. Mais tout est encore possible. »

Marc se lève et je sais qu'il faut le laisser aller assimiler cette information. Je fais signe à Mme Darlini.
Elle comprend. Mais à peine la porte se ferme-t-elle, qu'on croit entendre Marc tomber. Je la laisse y aller. Elle s'essouffle :
« Madame... madame Guylann. Votre mari s'est évanoui. Ne vous inquiétez pas, ça doit être le stress et le choc. »

Deux semaines plus tard, mon état est resté stable et aucune avancée majeure n'est à signaler. Marc va bien, il est juste en stress constant.

Trois semaines plus tard, tout est pareil. J'ai de gros problèmes d'équilibre et de mémoire. Mémorisation et souvenirs lointains. La tumeur avance peu. Les médecins n'en reviennent pas.

Un interne est désigné pour nous annoncer la nouvelle. Il sourit avec tant de bonheur et de joie quand il nous apprend qu'il me reste encore potentiellement plusieurs mois au lieu de plusieurs jours, que nous explosons tous de joie.

Portée par l'élan , j'essaie de porter Bill à bout de bras, un peu comme Simba ou comme quand il était bébé mais j'en suis incapable. Je suis à présent trop faible et lui trop grand et lourd.

L'ambiance redescend un peu. Vous connaissez le regard d'un enfant déçu et inquiet ? C'est terrible. Ça pique le cœur et sa fend les yeux

 Après moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant