Chapitre 4 : Le grand retour

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- Yo les poulets ! Je vous ai manqué ?

Cette voix, le claquement à la fois doux et agaçant de ces maudits talons aiguilles sur le sol, ce feu d'artifice de couleurs qu'il apercevait du coin de l'œil. Autant d'éléments qui, un autre matin, dans un autre contexte, l'auraient fait sourire, au moins intérieurement, lui provoquaient à cet instant précis une désagréable sensation de malaise. Il ne s'était pas préparé à une confrontation directe avec celle qui, à ses yeux, l'avait trahi avant au moins quelques jours. Un mélange subtil de colère et de déception l'envahit en repensant à ces souvenir, oui il était furieux, pas tant envers Morgane qu'envers lui même, il lui avait fait confiance aveuglément, laissant ses sentiments envers la belle rousse entraver complètement son jugement. Et elle, de son côté, s'était servie de sa vulnérabilité sans vergogne pour lui planter un couteau dans le dos et sauver son père.

Elle avait préféré sauver un homme qui n'avait jamais été là pour elle et ne lui avait causé que des ennuis, plutôt que d'être honnête avec lui et de le laisser l'aider. Parce qu'il l'aurait aidée, oui, il l'aurait aidée, quoi qu'il en coûte. Il avait déjà risqué tellement pour elle qu'il pensait être devenu une personne de confiance à ses yeux, quelqu'un a qui elle pouvait se confier en toutes circonstances, quelqu'un qui ne la jugeait pas. Mais visiblement, il n'était rien de tout cela. Il chassa ces pensées de sa tête et observa Gilles et Daphné accueillir chaleureusement la consultante, créant ainsi un brouhaha qui ne manqua pas d'attirer Céline qui se joignit immédiatement aux embrassades. Lui resta de marbre, le nez dans ses dossiers, essayant d'oublier que son traître de cœur avait bondi dans sa poitrine pendant une fraction de seconde en la voyant, avant qu'elle ne se comprime sous l'effet de la douleur que lui occasionnait encore sa trahison. Il ne lui accorda même pas un regard, comme si Morgane ne représentait plus rien pour lui, comme s'il l'avait oubliée et surtout, comme si le simple fait de la sentir à ses côtés ne lui renvoyait pas en pleine figure des images de leurs lèvres unies dans un baiser passionné au milieu de sa cuisine.

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Ce fut dans un joyeux vacarme que Gilles, Céline et même Daphné l'accueillirent à son entrée dans l'open-space. Entre embrassades, petites remarques et anecdotes, la rouquine put se rendre compte de plusieurs choses. Déjà, ils lui avaient beaucoup plus manqué que ce qu'elle imaginait, ensuite, ils ne devaient travailler sur aucune affaire pour le moment car leur "tableau de pistes" était vierge, et enfin, Karadec se moquait éperdument de savoir comment elle allait. Il n'avait même pas daigné relever la tête de ses documents pour la saluer, ou ne serait-ce que pour la regarder, mais elle ne put pas s'empêcher d'espérer qu'il ne l'aie simplement pas vue. Alors que Gilles lui faisait remarquer qu'ils avaient presque le même pull, elle s'arracha aux embrassades de ses trois collègues, alla se planter devant le bureau de Karadec, saisit une des feuilles qui se trouvait dessus et commença à la parcourir du regard avant de lancer :

- Alors Karadec, vous bossez sur quoi ? Ça a l'air rudement intéressant votre truc.

Son petit manège eut l'effet escompté car Karadec se leva brusquement de sa chaise, lui arracha pratiquement la feuille qu'elle tenait dans ses mains et plongea ses yeux flamboyants de rage dans ceux de l'impétueuse rousse qui lui faisait face en lâchant sur un d'un ton d'avertissement :

- Alvaro, mêlez vous de ce qui vous regarde et ne vous avisez pas de remettre le bazard dans ce commissariat comme vous le faisiez avant votre départ parce que je vous jure que je n'aurais pas autant de patience avec vous. Ça fait trois ans que vous bossez ici, il serait temps que vous appreniez enfin la discipline !

- Sérieux ? C'est tout ce que vous trouvez à me dire après quinze jours de maladie et un psychopathe dans mon salon ?

Le visage de Karadec sembla se refermer encore plus, si c'était possible. Et ce fut Céline qui rompit le long silence inconfortable qui s'était installé dans la pièce.

- Bon ça suffit ! Adam tu te calmes ! Et vous Morgane, venez avec moi dans mon bureau, c'est moi qui vais prendre votre déposition.

La consultante suivit Céline, comme à regret, espérant en vain un mot, une excuse, une once de culpabilité dans les yeux de Karadec mais rien ne vint. Une fois dans le bureau de Céline, elle s'efforça de sourire, mais le cœur n'y était pas.

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Dans l'open-space, Daphné dévisageait le commandant qui, une fois Morgane hors de la pièce, se prit la tête dans les mains et poussa un soupir à fendre l'âme. Elle commençait un peu mieux à comprendre pourquoi sa collègue refusait de parler de sa grossesse au commandant avant d'être absolument certaine qu'il soit le père de son enfant. Elle constatait également que la rouquine avait raison lorsqu'elle lui avait affirmé que ses relations avec son supérieur étaient loin d'être au beau fixe. En revanche, elle ne comprenait pas bien la cause de ce brusque froid entre eux si le commandant n'était ni au courant pour la grossesse, ni de ce qu'elles essayaient de faire.

Elle essaya de se remémorer une dispute, un désaccord, qu'ils auraient pu avoir avant, pendant, ou juste après l'affaire du tueur à la perceuse mais ne trouva rien. Gilles lui avait même affirmé d'un air presque jaloux, que Daphné avait trouvé à la fois mignon et drôle, que le commandant avait invité Morgane à dîner pour la remercier de ses "apports dans l'enquête". Était ce pendant ce dîner que les choses avaient dégénéré ? La jeune flic n'eut pas le temps de se poser la question que le commandant se leva, sa tasse dans la main, sûrement pour aller la laver et la ranger. Immédiatement, Daphné bondit sur ces pieds et lui coupa la route, attrapant son sac à main où se trouvait le kit ADN et, profitant de l'effet de surprise pour lui prendre sa tasse des mains en s'exclamant :

- Je vais la laver pour vous commandant ! De toute façon j'allais m'en refaire un !

- Daphné, est-ce que...

- Oui oui tout va bien, lança t-elle avant de se précipiter vers la salle de pause la tasse du commandant dans une main et son sac dans l'autre.

Elle sentit peser sur elle les regards lourds d'incompréhension du commandant et de Gilles mais n'y prêta pas attention. En passant dans le couloir, elle croisa Morgane qui, en voyant la tasse, la prit par le bras et l'attira dans une cabine de toilette.

- Et alors poulette ? C'est qui la meilleure ? C'est toi ! Hip hip hip...

- Morgane !, chuchota fermement la jeune flic, On est sensées être discrètes !

- Roooh ça va ! T'es vraiment rabat joie quand tu t'y mets.

Sans se préoccuper plus longtemps des plaintes de la rouquine, elle préleva soigneusement l'ADN du commissaire sur la tasse avec un coton tige et le plaça dans un tube qu'elle mit dans une enveloppe, comme indiqué sur la notice. Elles avaient convenu que ce serait Daphné qui posterai l'enveloppe "juste au cas où", elle la remit donc précieusement dans son sac. Brusquement, le sourire de Morgane s'effaça, et, pliée en deux, elle alla s'enfermer dans une cabine voisine et sembla laisser l'entièreté du contenu de son estomac à l'intérieur. Peu à l'aise, Daphné sortit des toilettes dès que le silence fut rétabli. Elle se dirigea vers la sortie de la DIPJ, blanche comme neige, sans se douter une seconde que le commandant, plongé dans des dossiers au milieu du couloir, venait de passer devant les toilettes et, en entendant le bruit des vomissement, s'était arrêté, attendant de savoir à qui ils appartenaient...

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