Chapitre V

32 1 3
                                    

Hors du temps. Ce n'était qu'ainsi que je pouvais qualifier notre course à travers la ville, entre les voitures et les pâtés de maison délabrées. Je ne sentais plus mes jambes, je flottais et seule la main d'Adam agrippant mon bras, me ramenait sur la terre ferme. Je m'étais retournée pour apercevoir où était l'homme au chapau melon. Il s'était arrêté de crier et n'avait même pas pris la peine de nous poursuivre. Il était au téléphone devinai-je. Après qu'il ait crié, Adam m'avait prise par le bras et m'avait entraînée dans son élan et nous avions commencé à courir. Lui semblait savoir ce qui nous attendaient si nous nous arrêtions. Tout était allé si vite que la tête me tournait. Je voulais m'arrêter. Le type n'était même pas à notre poursuite, à quoi bon ? Je stoppais ma course, me libérant de l'emprise d'Adam. Il me regarda et me lança, à bout de souffle :

 - Il... il ne faut pas s'arrêter.

Je m'adossai au mur d'une maison, en essayant de reprendre mon souffle. J'en avais assez d'attendre des réponses, je les voulais maintenant.

 - Qui c'était ?

Adam fit mine de chercher son souffle, mais je savais qu'il cherchait à éluder ma question. Je mis mes mains dans mes poches pour me donner une contenance et je sentis la lame dure et froide du couteau. Une idée me traversa. Sortant lentement le couteau afin de le placer derrière mon dos, j'entendis Adam ricaner.

 - Range ça, tu vas te faire mal, dit-il.

 - Comment...?

 - Range-le, répéta-t-il les yeux dans le vague.

Je ne m'avouerais pas vaincue aussi facilement. Il ne me regardait toujours pas. C'était le moment. Je sautais et d'un bond atterit sur son dos en essayant de lui plaquer le couteau sous la gorge. J'étais si sûre de moi, que je ne pensais pas qu'il allait réagir aussi vite. Il me prit avec légèreté par les aisselles et me remit à terre puis attrapant le bras avec lequel je tenais le couteau, il le retourna dans mon dos. Je n'osais plus respirer, par peur de me casser quelque chose. Un craquement se fit entendre quand il appuya sur mon bras et je gémis, son geste réveillant d'anciennes blessures. La douleur était supportable mais ma fierté en avait pris un coup. Il me lâcha presque aussitôt en me regardant comme la pauvre fille que j'étais.

 - C'est pas mal, rit-il, mais tu manques un peu d'entraînement.

Je rajustai ma veste avant de répondre.

 - Je suis un peu rouillée.

C'était la vérité. Mon père - je déglutis à la seule pensée de lui - m'entraînait parfois à me battre en me disant que ce n'était pas parce que j'étais une fille que je ne pouvais pas faire comme les garçons. Peut-être était-ce pour  ça qu'il était parti. Il voulait un garçon et je l'avais déçu. Adam me regarda à la dérobée pendant un court instant avant de déclarer qu'on devait s'en aller.

 - Je n'ai pas besoin de toi pour rentrer chez moi, dis-je.

 - Qui a dit que tu rentrais chez toi ?

Je le regardais, abasourdie. Il avait vraiment une confiance en lui qui frisait de très près la vanité.

 - Tu penses que parce que tu m'as traînée ici, alors que cet homme n'était peut-être même pas une menace, je vais te suivre où tu voudras tu te mets vraiment le doigt dans l'oeil, ricanai-je.

Il s'avança, pas à pas avec une lenteur calculée vers moi avant de s'arrêter juste devant mon nez. La proximité en devenait gênante et le rouge qui me venait si facilement aux joues refit surface. Si Adam l'avait remarqué il n'en laissa rien paraître.

 - Et si je te disais, reprit-il son souffle caressant mon visage, que toutes les réponses t'attendent là où je t'emmène ?

Il s'écarta et ma gêne s'envola, laissant place à un doute profond. Il fallait que je sache, et que des réponses me soient apportées. Mais comment pouvai-je le croire, après tout ?

 - Comment te faire confiance ? Et ma mère ? Je ne la laisserai pas toute seule.

 - Ta mère est déjà là-bas.

 - Comment puis-je être sûre de ça ? demandai-je, sceptique.

Il sorti de la poche arrière - je remarquais qu'il avait des poches un peu partout - de son jean un téléphone portable. Il était bien plus grand que la moyenne et comportait un clavier rétractable. Adam se mit à pianoter à une vitesse folle dessus avant de tourner son engin vers moi afin de me montrer une vidéo. Je voyais ma mère dans une pièce entièrement peinte en noir, avec des meubles minimalistes noirs eux aussi. Une faible lumière blanche s'échappait de lampes à l'aspect futuriste. Elle était assise sur un lit noir et recouvert d'un drap blanc. Personne ne semblait la retenir prisonnière.

 - Où est-elle ? demandai-je à Adam.

 - Je t'y emmène.

J'hésitai encore. Je vis alors sur l'écran d'autres vidéos de surveillance. C'était l'appartement. Nous étions filmés ? Cette idée me mettait hors de moi. Des gens s'introduisaient ainsi dans notre vie privée ! Et on ne le savait même pas. Adam semblait gêné. Il passa la main dans ses cheveux pour se donner une contenance.

 - Je pensais que tu avais des pouvoirs magiques, dis-je en me retenant d'exploser. En fait, tu as posés des saloperies de caméras pour nous espionner ! criai-je.

Il regardait ses pieds.

 - Je suis désolée, c'était pour votre sécurité... commença-t-il.

Je riais, mais pas parce que je trouvais ça drôle. C'était un rire amer.

 - Je supose qu'il y trois mois vous avez perdu la connection, c'est ça ?

Il semblait vraiment confus, mais je m'en foutais.

 - On voulait intervenir, mais...

Je levais ma main pour qu'il se taise, c'était trop. Je ne voulais plus rien entendre. Je fis trois pas et lui reprit son pseudo téléphone portable. Il ne dit rien, il a du voir combien j'étais énervée. Je fis défiler mon doigt sur l'écran et une vidéo de l'arrière de l'immeuble apparut et plus loin une autre de l'intérieur de l'appartement. Nous étions filmés, tout le temps. Les audiovisuels indiquaient la date d'aujourd'hui.

 - Il n'y a que moi et une autre personne qui regarde ces vidéos, ne t'inquiètes pas.

 - Comme si cela me rassurait ! Tu es encore un étranger pour moi, tu te souviens ? fis-je sècehement.

 - Moi je te connais.

Je ris.

 - C'était flippant.

Nous rîmes ensemble et je sentis tout mon corps se réchauffer. J'avais oublié un peu ma colère. À l'instar du fait de sourire, rire n'avait plus fait partie de mes habitudes depuis bien longtemps. Sans un mot, je vis Adam sortir un vieux cliché racorni. Il me le tendit pour que je le regarde de plus près. On y voyait une petite fille sourire de toutes ses dents en regardant un homme aux cheveux noir corbeau comme les siens la couvrir de feuilles. L'homme fixait l'appareil en riant si fort qu'on ne distinguait pas ses yeux, que je savais comme ceux de la petite fille : bleus clair de lune, comme avait l'habitude de le dire la femme qui tenait l'appareil. Ma mère avait pris cette photo. J'avais six ans sur cette photographie. Mes souvenirs étaient un peu flous de cette période-là, mais je me rappelais une sortie avec notre chienne, Zoey, qui est morte peu de temps après que mon père ne s'en aille. Nous avions rit aux éclats ce jour-là. À ce moment-là, je décidai de croire Adam.




Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jun 07, 2015 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Les larmes noiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant