Revenge - Tome ⅠⅠ

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Svetlana Belov

– Il reste du gâteau? Je meurs de faim.

Le choc des habitants se brise lorsque je romps le silence. Tel un métronome, le monde s'éloigne de la salle à manger, paniqué et légèrement énervé, tandis que je m'assois à table, prenant la dernière part restante après avoir vidé des assiettes. La faim qui m'assaille est vorace. Comme un loup affamé, il ne me reste plus qu'à l'esprit le dessert et le café posé sur la table, oubliant en une fraction de seconde l'atmosphère singulière qui règne dans la pièce. Négligeant Natalia et Manolo, toujours à leur place, qui s'échangent un regard - un long, rempli de sous-entendus qu'ils sont les seuls en capacité de comprendre - je pars dans mes pensées.

L'esprit confus, les souvenirs de la veille ne forment plus qu'un brouillard coloré qui se dissipe graduellement sans que je ne puisse les rattraper. Mon attention fixée sur le gâteau débordant de crème, j'essaye de remettre des images sur les sensations de plénitude et d'euphorie, tout en sachant qu'ils resteront dans l'obscurité sans jamais plus voir la lumière. Ce n'est plus qu'un trou noir qui attire ce qui me rends heureuse et je me retrouve avec ma peine et ma colère comme unique moteur.

L'assiette disparaît avant d'avoir eu le temps de prendre une part. S'éclatant sur le sol dans un bruit sourd, elle augmente brusquement le mal de tête que je dois supporter depuis mon réveil.

Même après des années d'ivresse et d'allégresse, mon corps n'est toujours pas conciliant. Les conséquences de mes dérives ne changent pas - s'empirent avec le temps. Elles peuvent être délicates ou, au contraire, violentes, le tout sans que mes consommations ne changent. Toutefois, ce n'est qu'un détail facilement négligeable face à la détresse de mon esprit.

La chute est fatale. Revenir dans la réalité devient de plus en plus compliqué. Le contrôle que je pensais avoir devient illusoire, l'anéantissement n'est plus qu'un simple cauchemar. Lorsque l'esprit n'est plus embrumé, lorsque les pièges se referment, le vide refait surface et la voix interne n'est plus aussi muette. Murmurant à l'oreille mes faiblesses, elle dirige mes journées jusqu'à la prochaine annihilation complète.

Vulnérable envers leur jugement, je plie sous leur regard. Leur silence tout autant apaisant qu'angoissant me condamne à les confronter. Il n'y a aucun éclat de voix mais leur mutisme est bruyant. Droits et imperturbables, ils me dévisagent comme chaque lendemain de soirée. Je perçois leur peine et leur rancune, leur douleur et leur fatigue à travers eux tandis que je deviens peu à peu prisonnière de moi-même. Mais ce qui me détruit le plus, c'est son regard qui se métamorphose quand je le croise. Vide n'est pas assez fort pour le décrire.

Sa chaise racle le sol dans un bruit strident, brisant le calme agité. Tout en grimaçant de douleur, j'observe Natalia remonter à l'étage d'un pas décidé sans se retourner - et le regret s'abat si violemment qu'il m'est impossible de le contenir.

Les actes sont plus forts que les mots. Mais quand ils dépassent la pensée, c'est là qu'ils deviennent meurtriers - et pas uniquement pour la victime. Les gestes sous le coup des émotions sont souvent ceux qui sont ignorés volontairement. Car, cachés dans l'ombre d'une fureur dévastatrice, ils dévoilent des sentiments profonds qui ne devraient pas être révélés. En ayant laissé parler la frustration et le manque, j'ai franchi cette limite - une des limites que je m'étais imposée. Maintenant, il n'y a plus rien à faire à part continuer à m'enfoncer dans cette spirale destructrice en même temps que sombrer dans une haine justifiée contre moi.

Elle est devenue un sentiment bien trop incontrôlable. Surgissant à la moindre petite faute, elle m'envoie plusieurs mètres plus bas, dans un monde dans lequel je me suis enchaînée. Elle est ancrée en moi, dirigeant mes paroles et mes actes sans retenue, remettant successivement les chaînes dont j'avais réussi à me libérer. Aujourd'hui, il n'y a plus qu'elle et moi contre le monde - et bientôt, il n'y aura plus qu'elle.