Amélie
Ma mère a toujours été différente des autres mères.
J'ai déménagé au début de l'année, et je suis arrivée dans une nouvelle école. Je me suis fait trois amies, et on s'est juré de ne jamais se quitter et de toujours se soutenir les unes les autres. Nous sommes devenues inséparables, et nous allions souvent chez l'une de nous pour se retrouver et jouer après les cours ou pendant le weekend.
Les mères de mes amies nous laissent jouer, mais on ne peut jamais sauter dans la piscine depuis le balcon ou faire de l'escalade sur les grands arbres du jardin. Elles nous préparent le goûter, que ce soit un gâteau fait maison avec un jus de fruit, des biscuits aux chocolats ou encore des tartines avec de la confiture. Elles nous grondent lorsque l'on fait des bêtises, mais elles le font gentiment, et après que l'on leur promette de ne plus recommencer, elles nous font un câlin ou un bisous sur le front.
Ma maman à moi ne nous interdit aucun jeux. Ma maman à moi nous préparent soit un grand goûter qui pourrait nourrir la classe entière, soit elle me réprimande très fort et me répète de me débrouiller pour que l'on se nourrisse nous-mêmes. "Tu as 6 ans ! Merde, Amélie ! Je ne vais quand même pas te faire ton petit goûter comme à un gosse de trois ans ! Apprends à te débrouiller toute seule sans que je doive toujours être aux petits soins pour toi !" Ma maman à moi peut soit nous réparer nos bêtises en nous faisons un clin d'œil complice et en nous intimant qu'elle n'a rien vu, soit elle va se mettre très en colère et nous donner une claque à chacune avant de nous hurler de déguerpir sans quoi elle nous ferait regretter de la connaître.
Au bout de quelques mois, mes amies ont fini par me dire qu'elle ne voulait plus aller chez moi, et qu'elles avaient bien trop peur de ma mère pour qu'elles continuent à venir jouer à ma maison. Leurs parents leur avaient dit de "faire une pause dans notre amitié", comme elles me l'ont dit. Je venais de perdre mes seuls piliers dans cette école et je me suis retrouvée seule. Vraiment seule. En rentrant à la maison, j'avais les yeux rouges à force d'avoir pleuré. Ma mère a accouru vers moi, et quand je lui ai raconté ce qui s'était passé, elle s'est mise dans une colère noire avant de me crier d'aller dans ma chambre. Quand j'en suis ressorti discrètement, je l'ai vu pleurer sur le canapé, la tête entre les mains. "Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas" répétait-elle.
Quelques jours plus tard, on est parti chez mes grands parents, et maman ne voulait pas m'expliquer pourquoi, mais elle a pleuré doucement pendant tout le trajet, et de temps en temps, elle se retournait vers moi et elle me chuchotait "Ça va aller, ne t'inquiètes pas...". Je ne savais pas pourquoi elle était si triste, mais j'avais compris qu'elle disait ça pour plus se rassurer elle-même que pour me rassurer moi.
Quand on est arrivé chez mes grands-parents, elle m'a serré très fort dans ses bras et elle est repartie dans la voiture après avoir expliqué quelque chose à mes grands-parents. J'étais censée rester dans ma chambre pendant ce temps, mais j'étais curieuse alors je suis descendue voir ce qui se passait. Une fois en bas, je suis restée cachée discrètement dans les escaliers. J'ai entendu mon grand-père se disputer avec ma grand-mère. "Elle n'est pas folle, putain, Nina, mets-toi ça dans le crâne ! Elle n'est pas folle ! Pas elle !" hurlait-il. Ma grand-mère s'est mise à pleurer. Je n'ai pas compris de qui ils parlaient, mais je n'ai jamais osé leur demander.
Maman n'est pas rentrée manger ce soir-là, ni les autres jours de la semaine. J'ai interrogé mes grands-parents plusieurs fois, mais mon grand-père se contentait de serrer les poings, alors que ma grand-mère me prenait dans ses bras avant de me murmurer qu'elle m'aimait très fort. Après avoir demandé une dizaine de fois, j'ai arrêté de poser des questions.
Un jour, après l'école, ma grand-mère devait me ramener chez eux mais nous n'avons pas pris le chemin habituel pour rentrer. Je n'ai rien dit. Cela faisait quelques jours que je ne demandais plus rien et je ne prenais que rarement la parole. Nous sommes arrivées devant un grand bâtiment blanc, mais je n'arrivai pas à lire ce qui était écrit sur la façade ; j'avais débuté mes leçons de lecture l'année dernière, mais avec les absences de maman, j'avais arrêté de travailler. Nous sommes entrées, main dans la main, et après que ma grand-mère ait parlé à plusieurs personnes qui devaient travailler là, on a attendu quelques instants dans une sorte de salle d'attente. Après quelques minutes, maman est apparue. Je suis restée quelques instants immobile avant de courir et de me jeter dans ses bras. Mais maman a eu un temps d'arrêt, comme si elle ne me reconnaissait pas. Elle a fini par détendre les muscles de son visage et elle m'a pris par la main. Elle a regardé longtemps ma grand-mère avant de détourner les yeux. Elle m'a emmené dans une autre pièce ; une chambre, mais sans décoration. Je me suis assise et elle aussi. Elle a fini par engager la conversation, et elle m'a parlé d'un dénommé "monde enchanté". Elle m'a décrit une grande prairie d'herbe verte, un château de cristal, une bibliothèque merveilleuse et un jardin secret. Je buvais ses paroles, même si je ne savais pas réellement de quoi elle parlait. Elle m'a décrit ce monde pendant deux heures de suite, et ensuite on a dû rentrer. Ma grand-mère m'a promis de revenir. J'ai embrassé maman sur la joue, et je suis partie à contre-cœur. J'aurais voulu que tout redevienne comme avant. Que Maman rentre avec nous. Mais je n'ai rien dit.
Nous sommes reparties plusieurs fois dans ce grand immeuble blanc pour voir maman. Elle ne me reconnaissait pas toujours du premier coup. Parfois, elle ne semblait même pas me voir, mais elle devait sentir ma présence car elle continuait à raconter comment était le "monde enchanté". Cela faisait deux mois que j'étais chez mes grands-parents. Un jour, nous sommes reparties dans l'immeuble, et mon grand-père nous a accompagnés pour une fois. Il avait l'air à la fois triste et en colère. Cette fois-ci, nous avons dû aller voir maman directement dans sa chambre. Quand nous sommes entrés, maman avait l'air d'avoir très peur. Elle paniquait et semblait regarder des choses autour d'elle que seule elle semblait voir. Elle était dans son lit, et elle ne cessait de répéter "Non, non, non, s'il vous plaît, ne me faîtes pas ça, ce n'est pas juste...". Mes grands-parents sont partis voir un monsieur qui travaillait ici pour qu'il leur explique ce qui arrivait à leur fille. Le monsieur a commencé à leur parler de choses que je ne comprenais pas. Alors je suis partie voir maman. Je lui ai pris la main, et j'ai attendu.
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Le rêve enchanté ou l'hôpital psychiatrique
Historia Corta« Ma mère a toujours été différente des autres mères. Ma maman à moi peut soit nous réparer nos bêtises en nous faisons un clin d'oeil complice et en nous intimant qu'elle n'a rien vu, soit elle va se mettre très en colère et nous donner une claque...