Sans les mains

Chapitre 4 : Les naissances

Elle est née un dimanche d'automne et lui un samedi.

Elle n'avait pas été désiré mais attendue comme l'enfant de la dernière chance par sa mère.

Il avait été le fruit de l'adultère et désiré par sa mère.

Ils étaient demi frères et sœurs. Etaient nés à deux villes lointaines. De père unique et brillant par son absence.

Annabelle pesait 3kg200, elle n'avait pas de cheveux et ses yeux d'un vert émeraude se devinait tendrement. Elle serait belle.

Nicolas ne pesait pas plus de 2kg800, si petit et le regard intense. On devinait qu'il était venu avec peine mais comptait bien faire sa place en ce monde qui l'avait accueilli avec tant de doutes. Il resterait rien que pour leur prouver.

A la naissance d'Annabelle Armelle accepta que Thomas soit présent. Elle avait passé ces neuf mois avec un vide au ventre. N'avait pas ressenti les gestes de son bébé. Comme pour s'excuser d'être là ce petit être ne voulait pas déranger sa mère en proie à tant d'émotions contradictoires.

Le quitter ? Accepter et se battre pour le reconquérir ? Elle ne savait plus. Et son deuxième enfant ? Elle rêvait qu'il soit garçon, pour retenir Thomas. Lui donner un fils serait un acte sacré. Thomas rêverait de partager son amour pour le rugby. Son goût pour la nature. Il l'emmènerait en weekends juste entre homme, pour camper et lui enseigner l'art d'écouter les bruits de la forêt.

Un garçon qui porterait son nom. Je jour où elle apprit le sexe de l'enfant Armelle pleura.

Comme si elle avait perdu. Une bataille face à un univers injuste. Pourquoi lui enlever cette chance ? Elle se sentait coupable de réagir comme ça. C'était plus fort qu'elle. Elle n'avait pas désiré cet enfant autant que sa première. Elle pouvait comparer.

Enceinte pour la première fois elle avait ressenti tellement de joie. Qu'elle garda jusqu'au jour de l'accouchement. Thomas avait été présent. Il l'aidait comme il savait.

Annabelle viendrait au monde dans un contexte bien compliqué.

Chercherait sa place auprès de sa mère en douleur et de son père déjà parti.

Un gouffre béant que rien ni personne ne saurait combler. Il est des blessures silencieuses qui sommeillent dans chacune de ses cellules pour ne jamais mourir.

Annabelle ne le savait pas. Elle grandit seule entourée de sa sœur et ses parents distants. Elle voyait leur sourire mais ne ressentait pas leur joie. Elle sentait leur bras me ne ressentait pas la chaleur. Elle entendait leurs mots mais des vibrations de silences pesaient à chaque phrase. Elle grandi sourde de leurs compliments, de leur affection et de leur présence. Un manque qui devint sa religion. Un sentiment de jalousie naissait pâlement.

Elle enviait les gestes de ses géniteurs pour sa sœur et hurlait pour qu'on la voit. Elle ne supportait pas que son père joue avec sa sœur et se forçait à lui pour conquérir son amour. Au fil des années cette conquête devint une façon d'être.

Une relation était née.

Elle se forgea un caractère à la hauteur des exigences de son papa.

Il aimait les femmes avec de l'humour, elle développa ce trait.

Il aimait les femmes féminines, elle s'exerça au métier de princesse dès le plus jeune âge.

Il aimait les femmes intelligentes, elle lu et travailla à l'école pour obtenir toute sa fierté.

Tant et si bien qu'elle conquit la place de favorite sans jamais le reconnaître.

Puis un jour il quitta la maison. Ce jour là les oiseaux ont cessé de chanter. Le ciel a pris la couleur des larmes que rien ne peut consoler. Sa mère avait sombré dans le boulot et les sorties. Annabelle et sa sœur passaient plus de temps chez leurs grands-parents respectifs que dans la maison qui avait été un jour un nid rassurant. Dorénavant il n'y avait qu'un grand vide.

Thomas les avait quitté pour rejoindre Aurélie et son fils.

Elle avait réussi. Lui avait confectionné un fils pendant neuf mois.

Avait résisté à ses doutes. Avait défié l'ordre des choses.

Il quitterait la mère de ses filles pour lui son fils. Ce jour là elle ressenti une joie immense.

Elle se mit à rêver à une vie à trois d'une perfection rare. Malgré les débuts difficiles, ils s'étaient aimés. Il l'avait désiré intensément au début. Ne voyait et n'entendait qu'elle. Elle était sa muse, la femme de ses rêves. Puis le doute s'était installé en lui. Une autre femme. Sa rivale s'était battue quelque temps. Mais Thomas lui revenait toujours.

Aurélie savait l'écouter. Elle passait des heures au téléphone à l'écouter dévoiler ses doutes et ses peurs. Il avait fumé. Il fumait beaucoup à cette période. Ça l'aidait. Elle ne le jugea pas.

Elle mit sa vie de côté pour lui, l'homme de sa vie.

Un jour elle se réveilla avec une nausée inconnue. Elle était enceinte. Ce jour, elle l'a vécu comme un doux-amer. Elle pleura beaucoup. N'arrivait pas à savoir si la joie, la peur ou la tristesse l'emporterait. Pas comme ça. Non pas comme ça. Elle qui avait rêvé de fonder une famille dans les règles de l'art. Elle l'annoncerait à Thomas une semaine plus tard. Il lui offrit un silence glacial qu'il garda pour lui deux semaines. Deux longues et pénibles semaines sans un mot.

Il l'appela un vendredi matin. Sa voix était grave et posée. Elle ressentit un frisson d'horreur quand il lui demanda d'avorter. Elle réprima un cri de douleur. Sa poitrine se serra. Il ne pouvait pas. Il ne pouvait simplement pas devenir père dans ces conditions. Il lui apprit qu'Armelle était enceinte aussi.

Aurélie raccrocha et refusa de lui parler pendant toute la grossesse. Après des semaines de pleurs, elle décida qu'elle aurait cet enfant seule. Que plus jamais elle ne voudrait voir cet homme qui lui avait brisé le cœur comme personne. Une colère froide l'habita et elle accoucha en silence digne et une colère que son ventre ne saurait calmer.

Il s'appellera Nicolas comme son grand-père paternel.

Un bâtisseur du nouveau monde était né. Transmutant les blessures et les colères en une force que peu réussissent à faire. Une intelligence rare et racée le propulsera vers une destinée unique. Les dieux de la réussite s'étaient penchés sur son berceau dès les premières heures. Ni son père ni sa mère n'avait su le voir. Lui seul le savait.