L'Homme à la petite cuillère

Chapitre 1 : 05/07/2019

Je sais ce que vous allez vous dire alors je prends les devants. Je suis peut-être narcissique et/ou égocentrique mais loin de là. Je me présente, je suis Isaac, un simple garçon de café, du moins dans mes moments de creux. Je travaille dans ces fameux Starbucks, cette grande chaine de boisson : Caramel Machiato, thé à l'hibiscus etc.

Des gens, j'en côtoie tous les jours. J'ai 33 ans et je suis toujours célibataire mais j'ai mes raisons. Pourtant j'en ai fait des rencontres, j'en ai eu des histoires mais des « sérieuses », c'est beaucoup trop complexe pour moi ! Je ne vais pas vous mentir, je plais aux filles et elles me plaisent aussi. Un Dom juan, non quand même pas ! Un arracheur de cœur, peut-être mais je ne touche pas aux femmes mariées ou en couple, même si parfois il y en a de très jolies !

« Isaac, accélère le mouvement, tu as vu la queue ! »

Je vous présente Gandy, mon patron. Ne me demandait pas pourquoi ce prénom, je vous laisserai deviner l'origine. Avez-vous pensé à un Indien bollywoodien ?

Pour être honnête, il est bien originaire d'Inde. Petit, grassouillet et plutôt énergique. Il est charismatique malgré sa petite moustache et son début de calvitie.

« Elodie ? Caramel Machiato ! »

Heureusement que ma voix porte un peu car avec tout ce vacarme il est parfois difficile de se faire entendre.

« Oui, c'est bien ça ! » me répond-elle.

Un sourire. Un clin d'œil. Blonde aux yeux bleus, un rouge à lèvre bien visible. Tenue habillée : jupe crayon, petit chemisier blanc laissant paraitre son décolleté plongeant. Ton casque autour du cou, je suppose que tu es là pour te balader. Tu ne l'as pas éteint. J'entends un Ray Charles. Tu as tout pour me plaire. « I can 't stop loving you », j'adore ce son ! Si seulement c'était vrai à ce moment précis, tu serais mienne. Malheureusement je ne suis pas en pause, sinon je négocierais ton numéro, mais c'est sans compter sur la surveillance accrue de Mister Gandy : un vrai petit homme sage.

« Elodie, vous voulez peut-être un sur-gobelet ? Le verre est chaud ! »

Tu acceptes. Je l'enfile en te regardant, ne crois pas qu'il y ait un message derrière tout ça même si je ne dirais pas non. Je lui donne. Ma main frôle la sienne. Tu as la main froide, Elodie. Main froide, cœur chaud ! Es-tu chaude autre part ? Je t'ai imaginé l'espace d'un instant nue sur moi, ton bassin au rythme d'un son jazzy et moi m'enfonçant de plus en plus pour ne former qu'une seule entité. J'ai du mal à masquer mon érection derrière mon tablier. L'as-tu remarquée ?

« Au revoir Isaac ! »

Tu as lu mon prénom, il sonne tellement mieux quand il sort de ta bouche. Tu as ce petit cheveu sur la langue qui te rend encore plus « SSSarmante ».

Non, ne me dis pas que tu t'en vas comme ça ! C'est ainsi donc que tu me vois, un simple garçon de café ? Tu me tournes le dos et reprends ta vie. Tout ce temps à me fixer dans les yeux pour m'ignorer. Allumeuse ! Pauvre fille ! Je t'ai imaginé l'espace d'un instant, attachée priant que je te relâche, mon martinet en main quelques coups sur tes fesses rouges, puis ensemble, assemblés tel un puzzle, une peinture de nue, toi et moi. Adieu Elodie ! Tu es partie.

J'accoste très rarement les demoiselles même si je m'imagine souvent leur parler. Je suis plutôt du genre réservé. On ne dirait pas comme ça et pourtant. Je ne suis pas fan de ces nouvelles applications de rencontre, les Tinder ou Meetic cependant je dois vous avouer que j'ai mon propre compte. Description générale :

« Bonjour, je suis Isaac. Je ne suis pas trop du genre à texter ou à vous téléphoner. Je vise plutôt l'originalité. Et si on se parlait par courrier à l'ancienne ? Si cela vous intéresse, envoyez-moi votre adresse et peut-être que vous recevrez votre lettre ! Romantique ? Oui un peu ! A vous d'en juger ! »

Accrocheur vous ne trouvez pas ? Actuellement, j'échange avec ma Lucie. Je n'ai qu'une photo de son visage. Brune aux yeux verts, un sourire intéressant et le plus important des lèvres pulpeuses comme je les aime, tellement charnues qu'elles sont du genre à laisser une trace sur la petite cuillère d'un dessert. Notre relation à distance dure depuis 5-6 mois et j'espère enfin la rencontrer. Elle n'habite pas la porte d'à côté : le Sud.

« Isaac, tu peux rentrer chez toi, il est 16h ! Chris est là pour prendre la relève ! »

Quel gérant ce Gandy ! Je passe au vestiaire, je jette mon tablier vert. Je n'ai qu'une hâte rentrer chez moi, espérant une lettre de Ma Lucie.

J'arrive enfin. La clé dans la boite aux lettres. Suspense, une lettre : Lucie Mendez. J'oublie la douche, je vais d'abord dévorer ce bout de papier.

Le 28/06/2020, à Avignon,

Isaac,

Je ne sais pas par où commencer ! Je ne veux pas que tu prennes peur sur ces mots. Il n'y a pas un jour où je ne regarde pas ma boite aux lettres, (plusieurs fois par jour je te dirai même) ! Elles sont toutes poignantes et précises. J'aime ta plume et tous ces détails croustillants que tu décris.

Je ne pensais pas que cette aventure originale prendrait autant de place dans ma vie. J'ai 33 ans, et pas une journée ne passe sans que je pense à toi, à tes mots, j'en rêve même la nuit. Comme si chaque parole frôlait ma peau, prenait emprise de chaque parcelle de mon cœur et mon cerveau !

L'expression générale dirait que tu hantes mes pensées, mais toi, tu les embellis. Je crois que je tombe amoureuse d'un homme que je ne connais que par écrit, m'accrochant à une simple photo de lui !

Je n'en ai pas parlé à mes copines car elle ne comprendrait pas ma démarche. Elles sont mariées ou mère de famille et je ne veux pas qu'elle me juge.

J'aimerai te voir Isaac. J'aimerai qu'on passe du temps ensemble, à se connaitre physiquement. Dis-moi, quand pourras tu poser tes mains sur moi ? Tes lèvres sur les miennes ? Quand pourrais-je entendre ta voix me dire toutes ces choses que tu as su m'écrire jusque-là ?

Je t'attends mon correspondant, mon mystère.

Ta Lucie.

Je pense que je vais devoir répondre à sa demande. « Amoureuse », ce mot cogne dans ma tête. C'est exactement ce que j'attendais d'elle. Elle a parfumé sa lettre. Je la sens encore et encore. Quel doux parfum sucré, d'amande douce et de vanille ! Mes lettres ont été récompensées par ce mot « amoureuse ».

Calme-toi Isaac ! Mes pensées s'évadent dans des fantasmes rocambolesques. Il faut que je planifie une rencontre que je mette tout cela à exécution. Elle n'a parlé de moi à personne. Ravi ! Je n'en demandais pas autant. Ma Lucie, je ferai en sorte de ne pas te faire souffrir.