I. LES CRÉATURES DE L'OMBRE (3)

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Flottant de nouveau à la frontière entre l'inconscience et la réalité, Colin sentit qu'on le tirait par les bras sans ménagement à travers son appartement. Sa tête et le haut de son dos écartèrent quelques objets qui jonchaient le sol, divers détritus s'accrochant dans ses cheveux blonds et aux extrémités de sa barbe irrégulière.

Je me suis vraiment laissé aller depuis que je suis sorti et que j'ai atterri dans ce bouge. Je dois avoir l'air hirsute. C'est vrai que je ne me suis pas rasé depuis mon emménagement, il y a trois semaines, constata-t-il en soufflant faiblement pour chasser un mouton de poussière qui lui chatouillait les narines.

La douleur qu'il éprouvait le ramenait peu à peu à la raison. Les paupières mi-closes, il observait son appartement d'un point de vue inédit et mesurait à quel point le lieu était à son image.

Quelle honte... Vivre dans un souk pareil... Boire autant pour oublier... Ce genre d'abattement ne me ressemble pas. Tout m'échappe depuis quelque temps et ça commence à bien faire ! Il faut que je réagisse dès maintenant pour comprendre ce qu'il se passe et arrêter enfin de tout subir. Voyons voir ! Le bruit horrible de tout à l'heure devait probablement être la sonnette d'entrée mais je n'avais encore jamais reçu de visite... Et, en parlant de visite, qu'est-ce que ces trois créatures-là peuvent bien me vouloir ?

Alors qu'il tentait d'identifier les gens qui l'entouraient et l'entrainaient, le contact glacé du carrelage de sa minuscule salle de bain acheva de lui faire retrouver ses sens. La lumière fut allumée et la porte en plastique translucide de la cabine de douche ouverte.

— Bien ! Igor, Olga, je vous laisse me le réveiller pour de bon, après quoi nous pourrons avoir notre petite conversation.

Colin n'avait plus assez d'énergie pour se défendre ni même pour regarder autour de lui et il se laissa faire lorsqu'on le projeta tout habillé sous la douche. Frissonnant au contact des traditionnelles dix secondes d'eau polaire, il se surprit à apprécier, même au travers de ses vêtements, la chaleur du jet d'eau qui trempait tout et chassait peu à peu les cauchemars. Il regarda dégouliner le flot crasseux jusqu'à la bonde avant que cet agréable interlude ne s'interrompe subitement. On le sortit manu militari de la cabine de douche et on lui balança une serviette en pleine figure.

— Son odeur est déjà plus supportable, commenta Igor, son grand sourire tout en dents dessinant une ligne presque perpendiculaire au tracé de sa cicatrice.

— Drôles de morts-vivants... murmura Colin en observant les trois intrus.

— Encore ? s'étonna Olga qui le soutenait. La douche a un peu arrangé son apparence mais son cerveau n'est toujours pas frais...

Une nouvelle fois, le chef éclata d'un grand rire joyeux, comme si Colin venait de débiter la meilleure plaisanterie du monde.

— Exactement comme je m'y attendais... Mais j'avais prévu que la douche ne suffirait pas pour apaiser un tel lendemain de cuite. Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour ce qui va suivre, mon cher Colin.

Sur ces mots, il empoigna le jeune homme à l'arrière du crâne par sa tignasse et lui plongea la tête dans le lavabo. D'abord étonné, Colin se mit à se débattre avec mollesse puis avec une rage de plus en plus désespérée mais la poigne qui le maintenait était de l'acier. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à s'extraire de l'eau pour happer ne serait-ce qu'une bouffée d'oxygène et il se sentait partir peu à peu.

— Chef ! Vous allez le noyer !

— Encore quelques secondes, Olga. Si j'ai rempli la vasque exprès pendant sa douche, c'est que je ne veux pas perdre mon temps ni parler dans le vide. Faire la proposition de sa vie à un ivrogne, c'est comme pisser dans un violon.

L'homme finit par ramener Colin à l'air libre et le laissa s'effondrer contre le carrelage, en travers du tapis de bain.

— Espèce de taré ! s'écria le presque noyé en recrachant de l'eau par la bouche autant que par les narines.

— Allons, pas de grossièretés entre nous... Je suis navré d'avoir dû employer cette méthode mais j'ai besoin de toute votre attention. Est-ce que vous vous sentez plus lucide à présent ?

— Oh que oui ! Dès que je reprends mon souffle, je vous éclate !

L'imposant Igor empoigna aussitôt le col du jeune homme, son immense main distordant le tee-shirt mouillé. Il plongea dans les yeux de Colin un regard noir souligné d'une barre de sourcils distordue par la colère.

— Tu sais à qui tu t'adresses, gamin ? Tu oses proférer des menaces ?

— Et toi ? Tu sais qui je suis, gros sac ?

— Ça, c'est du courage ou de l'inconscience... Pour cette insulte, je vais te casser le bras !

— Du calme, Igor ! Colin ne sait manifestement pas qui nous sommes et je suis justement là pour le lui apprendre.

Le colosse relâcha son étreinte et Colin s'affaissa contre le mur carrelé de la salle de bain. Résigné à comprendre ce qu'on attendait de lui, il s'empara de la serviette qu'on lui avait donnée et se frictionna le visage.

— Qu'est-ce que vous me voulez à la fin ?

Le garçon s'attendait à toutes les formes de réponses mais absolument pas à ce qu'on lui pose une question. Surtout aussi particulière que celle qui allait suivre.

—Colin, avez-vous envie de devenir riche et célèbre ?


LINKO Livre 1 - Es-tu mort, public ? [auto-publié]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant