chapitre 2 : Sky

200 11 4
                                    

c h a p i t r e d e u x

"Un rêve sans étoiles est un rêve oublié." – Paul Eluard

            00:10am, bar Lem'On

           

  C'était la pleine lune ce soir. Le bar est joyeux, comme d'habitude. Chacun rit, chacun boit. Tout va bien. Aaron est passé dans la soirée pour s'excuser, une fois de plus. Je sais très bien que ses excuses sont sincères mais qu'il recommencera tôt ou tard. Le laisser couler serait trop facile, pour lui et pour moi. Dhelia et Tim sont au courant, mais je crois qu'ils ne comprennent pas la situation.

           

  Avant de partir Aaron m'a pris dans ses bras. Il sentait vraiment bon, son visage était dégagé et plus rien ne faisait blanchir sa peau de nourrisson. Le fait qu'il m'ait serré contre lui m'a rendu tendre. Je ne voulais plus quitter cet endroit. Je m'y sentais protéger, dans une bulle incassable. Avant de franchir la porte du bar, il avait jeté un petit coup d'œil aimant vers moi. La porte s'était refermée et mon sourire avait disparu.

           

 J'avais fini mon service. Je rangeai mes affaires et bisai mon oncle en lui souhaitant une bonne fin de soirée. J'endossai mon blouson kaki et me fourra sous un parapluie sombre. J'ouvris la porte à la poignée gelée puis m'engouffrai sous une pluie torrentielle. Les flaques se formaient entre les pavés posés au sol. Mes baskets, perméables, absorbaient toutes l'eau qu'elles pouvaient. J'essayai tant bien que mal d'éviter chaque marre, infructueusement. La rue dans laquelle je me trouvais était sombre. Aucun lampadaire n'illuminait cette portion de la ville. Seules les dernières vitrines allumées éclairaient convenablement cette rue.

           

 Le bruit des gouttes de pluie faisaient écho au bruit de mes pas. Rien d'autre ne venait perturber cette atmosphère tranquille. Tout était calme.


 Je marchais toujours devant moi jusqu'à ce que des bruits anormaux me viennent aux oreilles. Je m'arrêtai pour mieux analyser la source de provenance du bruit. Je tournais autour de moi-même. Je ne trouvais pas, le stress commençait à m'envahir. Je respirais de plus en plus fort et le sang coulant dans mes veines lançaient de plus en plus vite.


 « Il y a quelqu'un ? »


 Juste après ma phrase, les bruits retentirent plus fort. Je tournais toujours sur moi-même quand je m'arrêtai devant une allée minuscule donnant sur un parc. Je décidai d'y entrer. Les flaques y étaient encore plus larges, mais je n'y réfléchissais plus. J'avançais encore et encore. Lorsque mon genou heurta quelque chose. C'était un banc. J'en fis tomber mon parapluie.


 Je ne bougeais plus. Là, devant moi, elle était là, se déchainant en lançant des pommes tombées à terre contre le tronc d'un arbre. Mon ventre se retourna, comme l'autre soir au bar. Même dans le noir, elle avait du charme. Sa façon d'agir, de bouger son corps me tenait hors de la gravité. J'avais l'impression d'être en apesanteur. Elle s'était arrêtée. Mais je crois qu'elle ne m'avait toujours pas vu.


 « A la recherche du cœur perdu de Sky, dit-elle dépitée en donnant un coup de pied dans une pomme. » 


 La pluie tombait encore de plus belle et caressait mes mains.  Je ne bougeais plus pour qu'elle ne m'aperçoive pas. C'est à ce moment-là que je me demandais pourquoi est-ce que j'étais rentrée dans ce maudis parc. Je ne la connaissais même pas. Je voulais juste tester mes limites.   


 Je la scrutais en arrêtant de respirer. Elle se retourna. Je fermai la bouche pour ne plus faire aucun son. Je voyais son ombre se diriger vers la sortie. Elle marchait doucement et d'un pas lourd n'étant plus qu'à quelques centimètres de moi. Elle passa son premier pied de l'autre côté du seuil du portillon, mais le deuxième trébuchai sur mon pied, à moi. Je fermai les yeux, espérant qu'elle n'y fasse pas attention. Elle s'était arrêtée et je sentis une main se poser sur ma joue qui glissa  jusqu'à mon menton. Tous mes organes se contractèrent. J'avais horriblement chaud. Je n'arrivais plus à articuler ma mâchoire.


 « Pourquoi tu m'espionnes ?demanda-t-elle calmement à ma plus grande surprise. »


 Je ne faisais que sentir sa main qui me touchait. Je n'aime pas qu'on me touche.


 « Je ne t'espionnais pas...je... j'avais entendu des bruits.


 _ Ce n'est que moi. Rentre chez toi, tu vas être trempé, m'ordonna-t-elle en retirant sa main de ma mâchoire. Elle tourna les talons.


 _ Eh, tu vas où ? »


 Elle fit volte-face et se retrouva en contre-jour avec une des vitrines de l'autre côté de la rue. Sa lumière faisait ressortir les courbes de son corps et ses longs cheveux foncés voltigeant au rythme du vent. Putain mais qu'est-ce que je suis en train de faire ?


 « T'as fini tard ton service. Il vaudrait mieux que tu ailles dormir. Ta peau frissonne, puis tes dents grelottent. Bonne nuit, à bientôt. »


 Elle sortit du parc et je vus sa silhouette s'effacer dans l'opacité de cette nuit noiraude. Bordel. Elle s'appelait apparemment Sky. Sky. Sky. Ma belle Sky.


 Avant de reprendre mystérieusement son chemin, elle avait replacé vigoureusement sa capuche sur ses cheveux. Ses mains étaient tellement froides que je sentais toujours la forme de ses doigts sur mon visage.


 J'étais figée là, sous mon parapluie, que j'avais relevé au-dessus de  ma tête. Puis, d'un coup, mon cerveau recommença à fonctionner. Elle avait dit « service ». Ce mot résonnait dans ma tête pendant que mes yeux absorbaient le noir qui s'entassait dans cette rue. « service ». Elle m'avait vu, ce soir-là. Cette soirée qui me revient à l'esprit chaque jour. Ses pupilles qui m'avaient observée.


 J'avais repris ma marche, toujours en réfléchissant. Un autre mot me revint d'un coup en tête : « à bientôt ». Mon cœur rata un battement. Je n'avais pas dormi cette nuit-là. 

Fall from the skyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant