Course

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Je cours.

À en perdre haleine, je cours. Et je ne peux m'arrêter.
J'ai du mal à y croire, mais si j'autorise mes jambes à se stopper, ou même à ralentir l'allure, je meurs. J'en suis convaincue.

Le danger est à mes trousses, il me poursuit et je peine à lui échapper. Je n'ose même pas me retourner. Ma respiration est sifflante, douloureuse, elle assèche ma gorge et me brûle presque les poumons à chaque inspiration.

Je cours comme je ne l'ai jamais fait auparavant, même lorsque mon frère me coursait après avoir découvert que j'avais pillé sa chambre. Je cours comme jamais je n'aurai pu penser savoir courir. Je suis d'ailleurs bien plus rapide que je ne le pensais. Je cours. Je saute. J'esquive. Je souffre.

Le pire, c'est que malgré tout cela, je ne sais même pas où je suis. Ni vraiment ce qui me poursuit. Ni même, comment je suis arrivé là. Comment j'en suis arrivée la.

Tout est sombre autour de moi. Et je peine à distinguer les obstacles qui me barrent la route, que je n'aperçois qu'à la dernière seconde. Au moment où j'y pense, où je m'attends à m'écraser contre quelque chose qui viendra brutalement stopper ma course, je distingue les contours incertains d'un sombre obstacle sur ma route que je parviens à sauter au dernier instant. Je n'y comprends rien, mais ce n'est pas le moment de réfléchir, et je ne cesse de me répéter que je tenterai de répondre à ces interrogations plus tard. Le problème, c'est qu'une voix s'éveille alors dans ma tête, et me chuchote qu'il n'y aura peut-être plus d'autre moment du tout pour tenter de comprendre la situation.

Enfin, si je me laisse rattraper, évidemment.

Alors je cours, du mieux que je peux.

Et au bout d'un moment, j'ai tellement mal que des larmes finissent par me monter aux yeux. Il fait atrocement sombre autour de moi, et j'ai beau courir, je ne parviens pas à trouver une lueur d'espoir, de lumière. Ça fait longtemps que cela dure. Bien trop longtemps. Tellement, en fait, que je ne me rappelle plus quand ça a commencé. Les larmes me brouillent la vue, mais de toutes manières, je ne voyais rien. Malgré moi, des images viennent éclairer ma vision floue. Elles ne proviennent pas du paysage, mais de mon esprit. Peut-être que mon corps vient de comprendre ce qui l'attend, et mon âme toute entière œuvre pour me refaire vivre mes meilleurs instants une dernière fois.

Car je ne voulais pas partir. Pas maintenant.

Je vois tant de scène que j'ai vécue, en existant, en étant simplement là. Alors que j'aurai pu être transcendée par leurs sens, j'aurai pu les vivre, vraiment. Au lieu de revoir mes quelques instants de gloire, ceux de fierté après avoir réussi un examen ou le bonheur simple de partager un instant avec des gens qui nous sont chers, ce sont mes doutes qui s'imposent à moi. Mes peurs, mes angoisses, mes hésitations, mes réticences, mes refus. Mes échecs. Toutes ces fois où j'ai fait le choix de fuir, plutôt que d'affronter la réalité pour m'offrir le meilleur, en fait.

C'est horrible, mais je ne parviens pas à les chasser de ma vue. De ma mémoire. Ces souvenirs qui ne cachent plus leurs secrets prennent possession de mon esprit.

Et je ne m'arrête pas.

Je cours. Toujours.

Et j'halète. Et je pense. Et je fuis. Encore.

Sans distinguer davantage ni ce qui se trouve autour de moi, ni ce qui me poursuit. Mais je sens sa présence derrière chacun de mes pas. Bientôt empreint de la terrible crainte d'être le dernier.

Puis, bien vite, je me rends compte que je suis pieds nus.

Oui, je m'en rends vraiment compte à l'instant où je ressens les cailloux sous mes pieds. Ils sont durs, irréguliers, pointus. Ils me piquent les plantes à chaque pas et je ne tarde pas à avoir l'impression de courir sur du verre. Mais l'idée même de m'arrêter me donner envie de pleurer, presque autant que celle de continuer à courir pour l'éternité, en fait.

RecueilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant