chapitre 1.
2 827 mots.
ORION se regardait toujours dans le miroir. C'était une habitude, pas forcément mauvaise, qu'il avait prise de sa mère. Elle était toujours derrière lui, à réarranger les plis de sa chemise ou ses mèches rebelles, et même maintenant, plusieurs années depuis sa disparition, il croyait sentir la maternelle main fantôme chaque fois qu'il mettait derrière son oreille une mèche ou qu'il reboutonnait son col. Aujourd'hui, comme à son habitude, avant d'ouvrir la porte, il tourna la tête vers le large miroir du hall. Son reflet le regarda, alors il en fit de même et il sortit.
L'aube était encore grise. Il l'apercevait à travers les vitres du couloir. Malgré l'été, le soleil ne parvenait pas à traverser l'épaisse couverture nuageuse et de pollution qui enveloppait le ciel. Orion n'était pas sûr d'avoir vu ne serait-ce qu'une fois un ciel bleu. Mais ça n'avait pas d'importance. Le ciel n'avait pas besoin d'être beau.
Orion marchait d'un pas régulier et silencieux. Parfois, il croisait un visage connu, un voisin ou un collègue, tous dans le même costume gris, le même uniforme impersonnel. C'étaient les semblables d'Orion, les travailleurs au gouvernement, ceux à qui l'aube et le crépuscule appartenaient, et il les salua. C'étaient les seuls hommes en chair qu'il verra de la journée.
Ses pas le portèrent jusqu'à une tour, un long bâton en verre qui s'étendait parmi tant d'autres jusqu'au ciel, un peu plus grande que ses voisines, aussi grises que ces dernières. Il entra.
Dans l'ascenseur, Orion s'autorisa pour la deuxième fois dans la journée à accrocher son regard au miroir. Que pouvait-il bien y observer ? C'étaient toujours les mêmes yeux bleus délavés, les mêmes cheveux grisonnants, le même visage pâle qu'il y voyait à chaque fois. Les portes s'ouvrirent derrière son dos. Il quitta le reflet, se retourna et s'en alla.
Il n'eut que quelques pas à faire pour atteindre son bureau. Il était tout à fait à son image : ordonné, gris, vieux. Orion s'y installa promptement et aussitôt, un néon d'une blancheur aveuglante s'alluma, révélant une pile de dossiers et un stylographe doré. Un objet rare, le stylographe, presque un trésor, une antiquité désuète, mais lui l'utilisait quotidiennement. Le choix de cet instrument était judicieux, à son sens. On ne pouvait pas corrompre l'encre et le papier, tout comme on ne pouvait pas corrompre la main qui les utilisait. Orion était inflexible, dévoué à la cause, intègre.
Il se saisit du premier dossier du tas, le dossier numéro 109 577X, et l'ouvrit. Une paire d'yeux l'observait depuis le papier, une image figée dans une photo mais qui semblait si vivante. Orion prêtait toujours attention au regard des femmes, celles en particulier dont il devait traiter le dossier. Il voyait dans leurs yeux tout ce qu'on ne pouvait plus observer dans les siens : des couleurs, de la fougue, une liberté pas encore opprimée.
Il observa l'en-tête du document. Une série de chiffre -la matricule de la femme- s'étendait sur deux lignes. Il n'y prêta pas attention, il ne le faisait jamais, et regarda son âge. Vingt-deux ans. Peut-être trop âgée pour la clémence, songea-t-il, peut-être assez jeune pour ne pas mourir.
Peut-être, jamais de certitudes. Les certitudes ne feraient que biaiser son jugement.Il tourna la page. Son lieu de naissance, son arbre généalogique, son bulletin d'études. Toute la vie de cette femme se retrouva sous ses yeux. La fille de fonctionnaires fortunés, nota-t-il avec soin dans un coin de sa tête. Il tourna de nouveau la page. Comme à chaque fois, le plus important se trouvait sur la deuxième page. La liste des délits. Elle commençait toujours par les plus infimes : née par voie naturelle, elle avait fait l'objet d'un suivi médical régulier dû à sa naissance. Mauvaise santé, attitude violente décelée dans ses premiers mois de vie, elle a échappé de peu au Déplacement.
C'était peut-être l'argent de ses parents qui lui avait épargné cela, songea-t-il, avant de se reprendre. Des bonnes notes mais une forte personnalité. Un refus régulier d'obtempérer à certains ordres.
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NUMÉRO 39
Short StoryEn cette nuit d'été, Orion paya les conséquences de son unique faute. [nouvelle, dystopie, 3 chapitres, 6,027 mots.]