Sur le pont du Reconquista, le second du Capitaine faisait les cents pas. Le soleil était brûlant, l'équipage s'autorisait donc naturellement quelques heures de repos. Certains étaient partis explorer les environs, mais la plupart avaient perdu le goût de la terre ferme à force d'années en mer et lui préférait le roulis franc du navire ammaré. Barton faisait parti de ceux qui ne se reposaient jamais, trop occupé à inspecter la caraque et à planifier le départ avec une organisation presque militaire: il y avait certainement là des restes de son temps dans la marine royale. Et tandis qu'il contrôlait une dernière fois l'approvisionnement des cales en denrées variées, il planchait assiduement sur sa nouvelle mission.
Il était déjà arrivé que le Capitaine exige un membre d'équipage tout fraîchement repéré, Barton prenait alors soin de l'en convaincre, mais dans ce cas... La fille était jeune, ne semblait ni intéressée par l'emploi, ni avoir d'expérience en mer. Le jeune homme qu'il avait auditionné le matin lui semblait plus robuste, plus apte. Mais le Capitaine n'en voulait rien savoir, l'histoire avait prouvé qu'il se trompait rarement. La caraque lui devait bien la confiance, trop reconnaissante pour ces années en mer et en sécurité.
Pour remplir sa mission, il allait lui falloir jouer finement. Aussi, il se donna un délais de deux semaines pour au moins établir un premier contact. Pour l'heure, il devait rectifier sa commande auprès de l'armurier, il se mit donc en route sans tarder à travers la ville. Il allait de toute manière falloir retrouver la fille quelque part, et envisager en cours de route de congédier son partenaire si son désir d'embarquer à leur bord ne venait pas à tarir. Manque de chance, Barton n'était pas un éminant physionomiste, il aurait bien du mal à les reconnaitre l'un comme l'autre.
...
Au même moment, passé le panneau de bois de la crique des Ormes, Daena avait rejoint la maison de l'Antiquaire. Autant user jusqu'au bout du prétexte de la promenade avec Anselme pour y passer l'après midi, ce qu'elle aimait particulièrement faire lorsqu'elle parvenait à déjouer la surveillance de sa mère. Le regard porté sur l'Antiquaire en ville était au demeurant plutôt bienveillant, sa manière d'arnaquer gentiment les touristes et autres pirates amusait. Du moins tant que le procédé de création de ses faux demeuraient inconnus du grand public.
-Il y a une recrudescence de la demande pour les colonnes de salon. a-t-il annoncé ce jour là, lorsqu'elle l'a surpris à l'oeuvre. L'époque seigneuriale en regorgeait, toutes prises dans les incendies et les pillages.
Les colonnes de salon, ouvrages en bois taillé dans lesquels on acheminait depuis un tuyau de la cuisine les spiritueux jusqu'au séjour, étaient le summum du raffinement pour une maison seigneuriale. Le vieux château en conservait des traces dans de nombreuses pièces, bien que son autodafé les ait réduites en cendres: un coup historique des Brigades impériales, il y avait de quoi écrire trois volumes reliés sur cette seule partie de l'histoire de Norburry et ses départements voisins.
-Vous n'avez pas peur que trop d'Antiquités "miraculeusement sauvées" qui inondent le marché soit supect ?
-L'histoire de Norburry est mal connue des étrangers. il expliqua. L'empire n'a jamais accepté d'endosser la responsabilité des exactions causées aux yeux de ses voisins. Pour eux, ces terres ont prospéré, sont restées les notres. On leur cache volontiers leur destruction, leur annexion par les Brigades impériales, pourvu que les mages n'y osent jamais proclamer leurs droits sur ces terres.
L'histoire était pourtant gravée en les habitants de Norburry dès le plus jeune âge, chacun savait pour les incendies, le contrôle strict de l'empire et les tentatives répétées d'anéantissement de leur patrimoine. En revanche, le temps avait procédé à l'effacement complet de toute référence aux mages dans les manuels d'histoire, conformément à la volonté de l'empire. Des légitimes possesseurs de ces terres, lieu faste pour la pratique des enchantements, les mages n'étaient désormais plus que l'ombre de faits divers rocambolesques. Les plus fous en faisaient l'objet, les plus sages demeuraient cachés.
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Pour la conquête du Paradis
FantasyL'équipage du "Reconquista" n'a jamais eu l'ambition de piller des navires marchands, ni de cacher des trésors sur des îles désertes ou d'asseoir une réputation de pirates sanguinaires. Leur unique objectif en tous temps fût cette conquête du Paradi...