deux

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Parce que Kaoru avait le désir d'être possédé et Kojiro celui de prendre, il n'y avait eu comme demande de permission qu'un baiser fiévreux et emmêlé, à peine la cloison de leur chambre fermée. A moitié allongé sur le futon, Kaoru voyait sa bouche bafouée par la débauche, pendant que son amant s'encrait toujours plus en lui, de ses mains plaquées sur ses joues qui prenaient au piège toujours plus de mèches mouillées. Et parce qu'ils n'avaient pas eu le temps de se sécher correctement depuis leur sortie du bain, le tissu rêche des yukata glissait le long de leur corps en une insupportable barrière entre deux peaux avides de touchers.

Les grandes mains de Kojiro avaient déjà retroussé les pans du dit vêtement pour prendre d'assaut les cuisses blanches de Kaoru, et la sensation de ces pouces humides qui roulaient à l'intérieur des hanches le rendait simplement fou. Fou et cela se voyait dans la simple ouverture de ses jambes, dans l'aspect nacré et implorant de ses yeux, dans son attitude qui suppliait Kojiro de venir se nicher en lu. C'est ce qu'il faisait, pourtant : à sa façon de rouler sa tête dans la nuque de son calligraphe pour emprunter encore plus de peau, encore plus d'espace libre, encore plus de baisers. Et à chaque suçon que le restaurateur laissait, il plaquait dessus un autre coup de langue pour clamer une nouvelle fois : « il est à moi, mon bel homme, et je suis à lui, et je l'aime tellement, tellement, tellement que ça en fait mal. »

-Ru, ça t'a agacé de baisser comme ça la garde ? demanda Joe en relevant la tête, juste pour admirer une fois de plus le désastre qu'il laissait derrière lui.

- Ce qui me vexe c'est ta façon d'obtenir les choses, espèce de gorille.

Et Cherry détourna la tête, sans doute parce qu'il savait que la mauvaise foi ne passait jamais inaperçu sur son visage aux yeux de quelqu'un d'aussi intime que Joe. Ce dernier relogea derrière une oreille cramoisie de gène quelques mèches roses avec une douceur intime infinie. Et ses yeux n'exprimaient que sa joie, peut-être un peu simple, peut-être un peu stupide, du moment présent : eux deux, adultes matures et amoureux qui savaient ce qu'ils voulaient, comment ils l'obtiendraient et pourquoi c'était ce qu'ils désiraient. Et Kaoru en avait parfaitement conscience. Alors, parce que ces foutus clichés mais pourtant véridiques papillons explosaient de son ventre jusque dans ses veine, il continua sa phrase:

-...mais je sais que je fais pareil, que tu adores ça, que j'adore ça et que je t'aime. Et que comme je t'aime je veux t'avoir au plus proche, là, maintenant. Pour que tu fasses ce que tu veux de mon corps, pour que tu jouisses en moi -ou avec moi, ou sur moi-. Mais maintenant, Joe. Maintenant.

En disant cela, il sentit un peu du poids qui s'envolait : donner une permission totale et voulue, et attendue. Il estima aussi que c'était suffisant, et prit doucement en bouche les lèvres de son compagnon, doucement, doucement pour les titiller de sa langue, les infiltrer et...fondre. Il sentait les mains de Joe remonter jusque dans ses cheveux, s'y ancrer pour qu'il n'y ait plus aucun espace libre entre leurs deux corps. Pour cela, Joe l'avait laissé monter sur ses hanches et resserrer son emprise en refermant ses jambes autour de sa taille : plus d'échappatoire possible entre le désir qui grognait et gonflait petit à petit dans leur bas-ventre, uniquement séparés par les yukata sans aucune autre couche intermédiaire.

Quand leurs lèvres se séparèrent et qu'un filet de salive témoignait de l'ardeur du baiser, quand leur respiration reprenait pied pour que leur coeur s'emballe mieux, quand la tendresse laissa place au désir brut, cru et déchaîné, Joe plongea pour suivre chaque ligne anatomique de sa langue. Son acharnement à laper les tétons roses, pimpants et affreusement durs de son amoureux faisait fleurir des flopées de gémissements que Kaoru ne retenait jamais. Ils n'étaient plus deux adolescents maladroits de badinage indiscret et volage, leur corps n'étaient pas le sujet d'une découverte voyeuse et excitée. C'était une connaissance en elle-même de savoir quoi toucher chez le corps de l'un et de l'autre pour l'allumer, le faire désirer puis ressentir la plénitude -ou le chemin qui y menait- : donc une reconnaissance de faire savoir à son amant le bien qui découlait de ses caresses. Et comme la vue vulnérable du cou élancé de Kaoru éveillait quelque chose aussi instinctif que charmant chez le cuistot, de dévaler ainsi son torse comme pour s'y enfouir jusqu'à s'excaver de soi-même était un point faible du calligraphe.

Antinoüs au bord du NilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant