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— Présent —

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Présent

ROCHESTER, NEW YORK STATE
HOPEVIEW HOSPITAL
Juillet 2016

LUNE

    Y a un incendie qui s'est déclaré il y a de cela quelques jours dans la ville de Rochester. Les journaux locaux n'en n'ont fait qu'une bouchée. Quelques entreprises commerciales ont pris feu et les rares restaurants sur le trottoir ont dû fermer leur porte pour un moment. Les services d'investigation d'incendies n'ont pas encore confirmé la source de ce brasier mais je me doute bien que cela ne peut être qu'à Corn Hill là où je me trouve en ce moment.

Malgré que le mois de juillet à Rochester soit synonyme de pluie et de fraîcheur, je ressens une sensation de chaleur intense et des residus de dioxyde de carbone font leur course dans mes narines. J'ai chaud et la température élevée à Corn Hill dilate mes pores, j'ai juste envie que l'infirmière à mes côtés me ramène à l'intérieur climatisée de Hopeview.

Au lieu de cela, je suis sur le macadam trempé par une rosée bénie en regardant une Helen Vaughn pétrifiée sur place. Ses cheveux blonds ont besoin d'un coup de brosse urgent et son pyjama en coton est défait, ce qui me laisse croire qu'elle est aussitôt sortie du lit conjugal en attendant la nouvelle par un rapide coup téléphonique : je suis en vie.

Je me mire et me contemple dans les yeux de ma mère. Deux cent mètres nous séparent et tout laisse imaginer qu'il s'agit d'une retrouvaille.

Si seulement cela n'avait été que ça.

Mes pupilles descendent sur son visage et je remarque alors qu'elle a vieilli plus que la dernière fois qu'on s'était vu : un dîner, une trahison. Je m'en rappelle vaguement. Des rides comblent son cou et son visage et je me remercie mentalement de ne plus être cette enfant d'autrefois qui rêvait de ressembler à sa mère une fois adulte.

Au lieu de courir dans ma direction, Helen peine à bouger, ses yeux crient des sanglots et sa peau blêmit à vue d'œil : c'est l'état de choc auquel on s'attend quand on retrouve sa fille après des mois et des années. Zackary Dempsey est là aussi, le fameux beau-père, et s'il n'avait pas passé le bras autour de ses hanches, j'imagine qu'elle serait peut-être au sol à l'heure qu'il est.

Ç'aurait été mieux que d'assister à ce spectacle à outrance qui me fait regretter d'avoir été retrouvée je-ne-sais-où dans les bois de Durand Eastman. Les infirmières refusent de m'en dire plus de peur que je ne tombe une fois encore dans le coma. Mais le problème reste que je suis douée pour écouter aux portes et elles encore moins quand il s'agit de parler moins fort en compagnie d'une malade qui feigne faire la sieste.

Il me reste l'option fuir encore et encore. Mais je ne peux même pas envisager cette alternative. Mes jambes ont subi beaucoup trop de dégâts pour me laisser m'échapper encore une fois.

L'infirmière finit par me pousser à leur hauteur. Automatiquement comme branchée à une prise, Helen se jette sur moi. Tout son poids me coupe le souffle et pour ça aussi, je lui en veux.

— Ma chérie, ma fille chérie, où étais-tu passée ? Tu m'as tellement manqué !

Où étais-je passée ? J'ai envie de rire jaune tant sa question est aussi absurde que l'est ma situation. Je suis amnésique maman, dois-je te le rappeler alors que la secrétaire au comptoir t'en as déjà parlé ?

Je me tais en compensation. Je suis trop fatiguée pour esquisser ne serait-ce même un sourire ou émettre un son du fond de ma gorge.

— Elle a besoin de repos et vous devriez faire attention à ne pas trop lui en demander, dit l'infirmière à l'intention de ma mère.

Je ne m'attendais pas à cette intervention de la part de Lina mais je pense qu'elle m'a sauvée de cette bourrade énergétique juste par pure compassion, rien d'autre. Même si je déteste ce traitement de faveur, je ne peux que la remercier de tenir ma mère éloignée de moi.

— Je veux voir le Dr Hugues, où est-il ? crie sèchement ma mère.

Helen devrait se calmer. Ce n'est pas de la rancune qui parle juste que l'on se retrouve dans le parking d'un hôpital très réputé dans le Comté de Monroe. Il ne faudrait pas réveiller par les patients hospitalisés.

— Le Dr Hugues n'est pas de garde pendant trois jours Mme Dempsey mais vous pouvez revenir demain. Elle pourra commencer sa rééducation.

— Comment ça pas de garde ? Et trois jours en plus ? Ma fille a été séquestrée quelque part pendant trois ans et vous, vous osez dire...

Je n'entends pas plus ni moins ; mon cerveau a comme été disjoncté de la situation quand Zackary est sommée de la main par ma mère de me mettre en voiture. Aucune résistance. La peau de ses bras touche la mienne m'arrachant une sensation vive et désagréable.

Mes souvenirs s'enfilent et s'enchaînent remontant à une pellicule particulière de ma mémoire :

Lune, je te présente Zack, on s'est rencontré à la boîte dans laquelle j'ai été prise. Lune, entre Zack et moi, c'est plus qu'une idylle. C'est même très sérieux. On va se fiancer.j

Elle m'a montré la bague à son annulaire, j'avais dix ans à l'époque, je n'ai fait qu'émettre un petit ' oh ' émerveillée. Elle a décrit ce qu'elle ressentait, ce jour-là, comme de
« l'amour fou ». Si elle savait...

nchanté Lune, ravie de faire la connaissance de ma future belle-fille.

J'ai serré le poignet que m'a tendu Zack, sa peau contre la mienne, la même sensation vive et désagréable.

Déposée sur la banquette arrière de la voiture, la chaise roulante envoyée dans le coffre, la caisse devient ma nouvelle contemplation. Trois ans plus tôt, si on m'avait dit que ma mère et mon beau-père seraient capables de s'acheter une voiture, j'aurais ri au nez de cette personne.

Ce n'est pas le contrat à durée déterminée qu'elle a obtenu dans une agence de publicité qui lui permettrait un tel écart dans son budget. Mais les voilà à présent, à bord d'un Range Rover noir pompeux. Que me réservent-ils encore ?

Une migraine atroce bat ma tempe gauche alors je la pose sur la vitre fumante cherchant à l'apaiser. Dehors, deux brises se battent, l'une chaude incendiée et une autre automnale. L'automnal finira par gagner puisqu'une pluie s'annonce. Matthew a rejoint Helen et les deux se livrent dans un débat sans précédent avec la pauvre infirmière. À cet instant, je me gratifie d'être dans cette voiture, a l'abri d'un traumatisme enterré que ma mère essaie tant bien que mal d'exhumer.

J'ai oublié une partie cruciale de ma vie d'adolescente mais si j'ai perdu la mémoire, ce devrait être pour une bonne raison et j'ai la nette impression que m'en souvenir ne fera que me détruire plus que jamais.

J'avais raison !

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