Prologue

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Cinq ans plus tôt...

Maë

— Avez-vous réfléchi ? demande le médecin à ses parents.

Je peux les entendre échanger autour de la situation, mais mon regard fixe le visage défiguré de cette personne dans ce lit. Nous autorisant enfin à lui rendre visite, je me suis joint à ses parents et à sa sœur, Louise. Mon esprit me souffle que ce n'est pas lui, mon Julien. Il m'incite à prendre la fuite.

Passant pour la première fois les portes vitrées de sa chambre, mes yeux se posent sur son visage. Comment est-ce possible ? Il est tellement défiguré par l'accident. Seul sa tête et le haut de son torse sont visibles, le reste est recouvert d'un drap blanc. Des tas de fils sont disposés autour de lui, trop selon moi. Restant debout à côté de lui, j'ai un mouvement de surprise en entendant le brassard qui entoure son bras se gonfler. Celui-ci est relié à un écran où je perçois des chiffres qui défilent. Certains clignotent sans que je ne comprenne leur signification. Mes yeux rencontrent ceux du médecin, où je ne distingue aucune réaction suite aux différents bruits sonores et, dans un sens, cela me rassure. Une perfusion reliée à son bras lui injecte des produits dont leur utilité m'est inconnue.

Tu sais ce qu'il te reste à faire. C'est le seul moyen de le savoir, Maë. Prenant sa main droite, je le perçois, ce petit grain de beauté entre son pouce et son index. Mon cœur loupe un battement quand je prends conscience de la réalité. Au moment où je lève mes yeux sur son visage, ma main rejoint ma bouche de manière automatique. Ma vision devient floue et des larmes coulent le long de mes joues sans que je ne puisse les arrêter.

Tant que je n'étais pas devant lui, j'étais persuadée que tout cela n'était pas réel. Ses yeux, dont je n'ai jamais cessé d'admirer leur beauté, sont entourés de coquards bleu foncé et un tube sort de sa bouche. Ma main se pose sur sa joue, la caressant malgré la froideur de celle-ci. Je veux simplement lui montrer que je suis là et j'espère de tout cœur que ce simple contact l'aidera à lutter. Ne me quitte pas, tu es tout pour moi !

Nous étions sur la même longueur d'onde. Je pouvais compter sur lui à tout moment. Il était mon confident et bien plus encore. Il n'a que vingt-sept ans et est beaucoup trop jeune pour mourir. Une boule se forme au creux de ma gorge, ne me permettant pas de respirer correctement tant elle me brûle. C'est injuste et à peine croyable. Se dire que la personne avec qui vous étiez prêt à tout partager se trouve entre la vie et la mort. Cette barrière qui nous propulse dans un autre monde est très fine et menace de se briser à tout moment.

Les heures défilent lentement, les jours se suivent et malheureusement se ressemblent. J'observe le soleil se lever tous les matins. Le rythme à l'hôpital est le même. Les professionnels de la santé embauchent, les équipes se transmettent les nouveautés de la nuit et pendant que certains sont prêts à attaquer une nouvelle journée, d'autres n'ont qu'une hâte, retrouver leur lit, pour se reposer. C'est ainsi que le défilé commence dans le couloir : des médecins, des internes, des infirmiers, des aides-soignantes, des agents d'entretien, des familles, je les vois tous passer, au travers des fenêtres qui entourent une partie de la chambre de Julien. Il n'y a pas vraiment d'intimité, j'ai l'impression d'être observée en permanence, mais les soignants doivent pouvoir garder un œil sur lui et ça même quand ils ne sont pas dans la pièce.

Il m'est demandé de sortir de sa chambre tous les matins et à quelques minutes près, j'arrive à savoir quand ils vont arriver pour prodiguer les soins nécessaires à Julien. Tous les jours, je rejoins la salle d'attente dont l'odeur des produits ménagers m'est de plus en plus insupportable. Les soins intensifs ont des règles très strictes, alors, j'en profite pour me nettoyer les mains, changer de blouse et de masque. Hors de question qu'il attrape une cochonnerie. Il ne manquerait plus que ça.

Il y a des jours où j'ai du mal à le regarder ou même à lui parler tant je lui en veux de me laisser seule. Foutue moto et foutue course clandestine... Je savais qu'il ne fallait surtout pas en louper une à la télévision, mais j'étais loin de me douter qu'il s'était mis à en faire. Je lui en veux tellement de ne m'avoir rien dit. Je lui en veux, à lui et à ses amis. J'aurais pu le raisonner ou au moins essayer...

Je me souviens de ce jour où j'ai compris qu'il n'y aurait plus rien à faire. Un médecin et des internes avaient franchi la porte de sa chambre pour la énième fois.

— Nous nous sommes concertés avec les chirurgiens. Nous pouvons tenter une dernière opération...

Depuis que nous sommes présents dans l'établissement, les interventions se sont multipliées sur son corps, laissant des cicatrices qui ne cesseront de lui rappeler ce qu'il a traversé. L'espoir qu'il ouvre les yeux, c'est ce qui nous permet de tenir avec ses parents et sa sœur.

J'ai de plus en plus de mal à croire qu'il retrouvera ses capacités. Les heures défilent et il ne se réveille pas malgré tout ce que les médecins font, même pas un petit signe de sa part pour montrer qu'il est avec nous. Le plus dur est d'entendre le personnel soignant nous demander d'être patient. Je n'y arrive plus. Mon cœur est brisé et les morceaux n'arrivent plus à se recoller.

J'ose regarder les parents de Julien. Les yeux rougis et fuyants de son père qui n'arrive pas à prendre conscience de la situation. Les larmes qui n'ont jamais cessé de couler sur les joues de sa mère et les mains de sa sœur scellées à celles de son frère, de peur qu'il parte d'un moment à l'autre.

— Docteur, nous ne savons plus ce qu'il faut faire... Vous êtes le professionnel, si vous pensez que cela est utile alors, faites-le. Nous ne souhaitons qu'une chose, qu'il ouvre les yeux, intervient sa mère dont la fin de sa phrase se termine dans un murmure.

Je suis tétanisée par mes pensées, mais la colère ronge chaque partie de mon corps. C'est étrange ce mélange de sensations. Plusieurs questions trottent dans ma tête sans qu'elles ne franchissent la barrière de mes lèvres, mais je me dois de savoir.

— Docteur, pensez-vous que Julien sera en capacité de manger ? De boire ? De marcher ? Et même de parler tout seul quand il se réveillera ?

Nos yeux se rencontrent et malgré son optimisme et sa réassurance qui nous permettent de tenir le coup chaque jour, j'ai lu en lui la réponse tant redoutée. Cette boule au creux de ma gorge est descendue tel un ascenseur dans mon estomac et je n'ai pas trouvé d'autres moyens que de fuir, partir en courant jusqu'à ce que l'air de mes poumons ne suffise plus et que je sois obligée de m'arrêter.

Cette dernière intervention passée, il n'y avait toujours aucun signe de la part de Julien. Il allait falloir prendre une décision. Espérer qu'il se réveille un jour, mais quand ? Le laisser partir ? Dans ce moment, nous devons nous défaire de toutes les attaches qui nous lient à lui pour choisir la meilleure des décisions.

Après les larmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant